Lʼarrivée en Angleterre


Nous sommes remontés en Algérie, à Mers-El-Kébir. Là, nous étions en position d’attente, nous logions sous de grandes tentes de trente places, dans le sable rouge, avec la chaleur habituelle. Nous avions à notre disposition un jerricane de rosé, un de rouge, un de blanc, sans glace, bien sûr, et « boire » était la seule distraction.

Enfin avant l’ordre d’embarquer, le 17 mai je crois, le général De Gaulle nous a passé en revue. L’ordre d’embarquer est arrivé. Nous avions un paquetage énorme, un gros sac, un fusil, un casque, et, pour nous être agréable, on nous a donné, en plus, une moustiquaire… pour aller en Écosse !

Nous avons porté tout cela sur trois kilomètres, et nous avons réussi à embarquer sur un magnifique paquebot réquisitionné: le « Franconia ». Je nichais au cinquième sous-sol sous la ligne de flottaison. J’avais remarqué qu’il

y avait des bouches d’aération qui montaient jusqu’au pont et il y avait des cordages qui pendaient. Comme j’étais un bon grimpeur je m’y étais installé avec ma paillasse à proximité immédiate, en me disant que, si une torpille nous frappait, j’aurais une voie de secours. Le voyage se passa normalement avec alerte aux sous-marins. Hitler savait qu’il y avait cette division, il y pensait, mais les forces maritimes alliées étaient plus puissantes et les U-Boats étaient décimés. Nous sommes donc bien arrivés dans la Clyde à Glasgow, nous étions en Grande-Bretagne… changement de climat !


De Gaulle passe en revue les tankistes FFL (source : INA.fr)


Nous avons été dirigé sur Westlutton, à quarante kilomètres à l’Ouest de Hull, nous étions dans la campagne anglaise, c’était la zone de captation des eaux pures pour alimenter Londres. Il était évidemment interdit de polluer les lieux, ce qui était parfois difficile pour les Français, indisciplinés de nature. Nous étions en permission, chaque soir à partir de cinq heures, après les exercices, nous étions dans une forme superbe. Avec deux camarades, nous nous faufilions par un trou de la haie et nous faisions venir un vieux taxi anglais, un « cab », conduit par une personne âgée, et nous allions jusqu’à Scarborough, à une quarantaine de kilomètres.

C’était une ville comme Deauville, avec un casino, des dancings où nous retrouvions des militaires américains, français libres, anglais, norvégiens, tchèques, grecs…. Au bout d’un moment, la bière aidant, les bagarres commençaient : en général, ceux portant l’uniforme US contre ceux qui portaient l’uniforme anglais. J’étais d’un caractère pacifique et j’en profitais pour emmener ma cavalière du moment faire une promenade sur la plage.

Il y avait des jardins qui descendaient en pente douce vers la mer et qui étaient plantés d’arbres, c’était très joli, il y avait des bancs, comme les vieux bancs des jardins publics français, ils étaient marqués « Allez Frères ! » Quand la promenade était terminée, vers cinq heures du matin, j’allais chercher notre chauffeur de taxi qui nous ramenait au camp. Nous repassions par le trou de la haie. A sept heures, c’était le décrassage. Il fallait partir en petites foulées derrière les moniteurs. Au bout d’un moment, nous nous écroulions, dès que surgissait une motte de terre un peu plus grosse, l’effectif disparaissait.

Enfin l’entraînement continuait. Les jours de sortie où nous n’avions pas d’argent nous allions faire une marche à la boussole dans la campagne anglaise, six miles c’est-à-dire neuf kilomètres. Nous arrivions dans un petit dancing dans un village anglais, et nous revenions d’une manière très échelonnée. Je me débrouillais toujours pour rentrer à l’heure de façon à ne pas être puni. Certains camarades arrivaient dans la journée, la punition dépendait de l’importance du retard.

Enfin est survenu l’ordre de se rendre au camp secret. Au préalable, ceux qui avaient de la famille en Angleterre pouvaient bénéficier d’une décision de permission. Je me suis souvenu que ma soeur avait fait des études d’anglais à Saint-Joseph de Reading. Je pose alors une perm qui est acceptée. C’était ma première permission de longue durée, dix jours à passer où je voulais. On m’a proposé d’aller chasser la « grouse » avec un lord anglais, mais j’ai remercié, je préférais aller à Londres et prospecter les dancing de la banlieue, cela m’a été accordé.

J’ai été logé chez des gens charmants : Mrs et Mr Applegarden, 947 London road, Thorton Heath. J’étais totalement libre, je me promenais, je visitais Londres. Ce coin était un peu agité parce que les V1 tombaient là, à cause des vents: au lieu d’atteindre Londres, ils tombaient un peu au Sud- Ouest. On m’a dit par la suite que c’était les Anglais qui avaient réussi à dérégler leurs mécanismes, enfin peu importe ! Mrs Applegarden disait : « Nous avons du papier peint de bonne qualité, ça tient les murs ! » Pendant cette perm, j’ai rencontré, un jour, deux gendarmes français en tenue, c’était étrange, je les ai suivi jusqu’à leur poste, et j’ai appris que c’était une brigade française qui avait choisie la liberté et qui faisait partie des F.F.L. J’ai toujours mon titre de permission (le seul en règle) que j’avais fait viser à cette occasion. A mon retour, nous sommes partis pour le camp secret, c’était bientôt l’heure d’embarquer en vue du débarquement…

Le débarquement en France

Nous sommes donc arrivés sur les côtes de Normandie, mais nous avons dû attendre en mer pendant plusieurs jours, les bateaux étaient protégés par des ballons captifs. Enfin, nous avons débarqué. Nous sommes allés dans la région de Saint-James, nous avons été attaqués par l’aviation allemande, et c’est là qu’il y a eu les premières pertes de la 2ème DB sur le sol français, le 1er août 1944.


De durs combats en Normandie (source : PAC)


Après, nous étions à la belle saison et au combat, ainsi jusqu’au moment ou il a fallu faire sauter les verrous vers Alençon.
Ce jour-là, il nous fallait prendre le carrefour de la Hutte-Colombier qui était puissamment défendu, et, le 2ème Cuir, qui appartenait au groupement tactique dont je dépendais (le groupement tactique « Dio »), ayant attaqué, a perdu plusieurs chars. Je rappelle que la 2ème DB était composée d’un ensemble de groupements tactiques comprenant des unités de chars, d’infanterie portée, d’artillerie, de Génie….

La section de reconnaissance à laquelle j’appartenais reçut l’ordre d’aller observer ce qui se passait. Au passage, j’ai aperçu un char détruit, je montai sur la caisse pour savoir s’il y avait quelqu’un à secourir, et, j’ai vu dans la tourelle un corps sans tête. Nous continuions d’avancer. J’étais la deuxième jeep. Nous suivions un chemin pour contourner le carrefour, au milieu des champs et des pommiers…


Char de la 2ème DB lors des combats de Normandie (source : Mémorial de la bataille de Normandie)


Et, brutalement, la mitraille s’est abattue sur nous. Les Allemands nous attendaient. Je répliquai avec ma mitrailleuse de 12,7 mais soudainement j’ai été frappé par plusieurs balles et je tombai de mon piédestal. Miraculeusement une des balles qui aurait du me transpercer le coeur avait été arrêtée par ma plaque d’identification. Mon blouson avait été tellement percé que mes camarades l’ont conservé.

Enfin je m’en étais bien tiré, ma grand-mère sans doute priant Saint-Joseph, et ma mère Sainte- Marie. J’étais à terre, mes camarades ne pouvaient pas bouger, mais j’avais près de moi, tout préparé, mon sac de grenades. Revenant à moi, j’ai pu ainsi nous dégager, mais tout le monde avait été atteint. Le sergent Bodin, qui était le chef de bord, avait une grave blessure à l’épaule et se trouvait dans le coma, les autres étaient blessés aux jambes. J’ai balancé tout mon sac de grenades, mais j’ai été touché à nouveau au bras droit. Je ne pouvais plus lancer de projectiles.


J’ai été transporté à l’infirmerie du bataillon, puis dirigé sur un hôpital de campagne près du Mans. Dans cet hôpital de campagne, j’étais soigné avec quatre piqûres de pénicilline par jour, dans la fesse. C’était très désagréable, car le liquide était très épais. Je m’en autorisais trois et la quatrième, je m’en dispensais.

Un jour jʼai pu discuter avec un Arabe, je lui parlais et il me dit : « j’ai été déblayer Noisy-le-Sec. De la gare à l’église, il n’y a plus rien, cʼest une calamité, après ça va mieux. » Je supposais que la maison de mes parents était toujours là. J’avais lu cette information sur un journal anglais, avant le débarquement, ce journal indiquait que des bombardements sérieux avaient eu lieu sur Noisy, je n’en savais pas davantage.

Au préalable, je dois dire que, en dehors du camarade que j’avais rencontré au Maroc pendant mes trois ans de voyage, j’avais au camp reçu une lettre d’un prisonnier qui était sorti de Miranda avant moi. Par la Croix-Rouge, mes parents avaient su que j’étais arrivé en Espagne. Vous voyez comment l’information fonctionne en temps de guerre.

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre (1ère partie)

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre (2ème partie)

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre (3ème partie)

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre (4ème partie)