Lors de ce terrible évènement je suis âgée de 3 ans et 7 mois exactement et sans doute comme tous les enfants de cet âge, insouciante du danger qui menace ma vie, celle de ceux qui m’entourent et me protègent, celle des Noiséens et bien au-delà.

Aussi mes souvenirs sont partiels et ciblés sur des moments précis, notamment
le bruit des avions, les alertes fréquentes, les fuites précipitées dans l’abri le plus proche, en l’occurrence celui situé près de la halle du marché couvert où il faisait très sombre, là, j’avais peur, une peur toujours bien présente dans ma mémoire.

Et puis tout-à-coup, une nuit, c‘est l’affolement à la maison, je suis sortie du lit que je partageais avec ma grande sœur de 10 ans mon aînée, je suis en pyjama, mon père ouvre les volets de la cuisine et je l’entends encore dire «cette fois, les enfants, c’est pour nous ».

Descente à la cave précipitamment où nous nous réfugions avec tous les occupants de cette partie d’immeuble sauf un monsieur qui était totalement sourd et qui refusait de bouger de chez lui ; finalement il nous a tout de même rejoint, s’étonnant du vent qui soufflait dans la cave en voyant la toile du soupirail se soulever … au rythme des déflagrations incessantes. Mon père lui, s’échappait souvent de cette cave pour aller sur le pas de la porte de l’immeuble constater ce qui se passait, rendant ma mère folle d’inquiétude devant tant d’imprudence.
Et moi, malgré l’ ambiance angoissante de cet endroit où je n’allais jamais, le bruit des bombes, les cris voire les hurlements de certaines personnes, les pleurs, la panique générale, je devais bien sûr être apeurée mais, étonnamment, je n’ai pas le souvenir de ce sentiment, peut-être parce que je me sentais protégée, enveloppée dans une couverture, dans les bras réconfortants d’un membre de ma famille qui d’ailleurs s’est trouvé là de façon inattendue, ce qui mérite au passage une petite anecdote dont les détails m’ont été racontés bien plus tard :

« Un petit-cousin de mon père, s’étant évadé de Dunkerque où il était prisonnier, se donne comme destination : Noisy, où il arrive le 17 Avril 1944 au soir, chez mes parents qui lui ont bien sûr donné asile et installé du mieux possible car notre appartement n’était pas bien grand, mais lui souhaitait surtout du repos ; les heures qui ont suivi ne lui en n’ont pas laissé le loisir !
Fatigué par les épreuves qu’il venait de traverser, il a d’abord refusé de nous suivre à la cave jusqu’à ce que les éclats d’obus traversent l’appartement et occasionnent, outre la vaisselle cassée, des brûlures sur sa literie ; il nous a alors très vite rejoint, m’a prise dans ses bras où je me suis blottie avec sans doute un grand apaisement, me sentant comme dans un cocon. Un moment si important pour moi que je l’ai souvent évoqué avec lui par la suite, toujours avec beaucoup de reconnaissance. »

Après cette parenthèse je reprends le fil de ma mémoire …

Je me revois dans la nuit, avec mes parents et ma sœur alors âgée de 14 ans, perchée sur les épaules de mon père, monter la rue Anatole France ; je comprends juste que nous allons à Romainville retrouver mes oncles et tantes, cousins ,cousines, est-ce que j’ai eu peur pendant ce déplacement ? sans doute mais je ne saurai dire ce que je ressentais à ce moment là, en revanche, ce qui m’a beaucoup frappé et resté en mémoire c’est de voir tout-à-coup ma grande sœur, un modèle pour moi, s’arrêter de marcher pour s’appuyer contre un mur et éclater en sanglots, ne pouvant plus avancer. Cette image m’est souvent revenue à l’esprit et ne m’a jamais quittée.

Mes souvenirs reviennent lorsque nous sommes arrivés à Romainville, auprès de nos proches, tellement soulagés et heureux de nous revoir alors qu’ils avaient tant craint pour nos vies après cet apocalypse et voyant Noisy en feu … Ceci m’a été raconté par la suite car je ne me souviens que de ce moment de joie et d’effervescence dans la maison où il a fallu se serrer un peu mais nous étions tous là. Blottie contre ma marraine adorée, un sommeil bien mérité a dû m’emporter.

Après tout ce bouleversement la petite fille que j’étais a dû très vite tourner la page comme on peut le deviner sur la photo ci-dessous prise à Romainville où nous avons dû séjourner 2 mois avant de pouvoir regagner notre domicile.

J’ai ma poupée, mon sac … ma vie de petite fille a repris son cours normal.

Hélas la réalité était toute autre, pour toute la population noiséenne c’est le désarroi, le malheur, la souffrance..

Micheline Frontigny-Virey