Le transfert vers lʼAfrique du Nord

Après cela, nous avons été placés pendant dix jours dans un hôtel à Madrid en liberté surveillée, j’ai pu ainsi visiter le Prado. Puis nous avons été dirigés sur la gare principale de Madrid. Le groupe français « Miranda » comprenait trois cent personnes dont une vingtaine de femmes et quelques enfants, plus un certain nombre de Basques. Parmi les femmes, il y avait une Française, la plus jolie, une vingtaine d’années, brune, que je retrouvais dans ce train bondé. Elle était assise, en train de faire ses adieux à un homme d’une quarantaine d’années. Sur l’autre quai était le train réservé aux Belges. Au moment où notre train partait, le monsieur descendit et se dirigea vers le train des Belges. Je pris sa place immédiatement. La demoiselle pleurait, elle pleurait sur mon épaule, puisque j’étais assis à coté d’elle. Le train roula longtemps et nous sommes arrivés au Portugal. L’arrivée fut assez sympathique, avec des enfants, des fleurs pour accueillir le convoi de prisonniers. J’étais heureux. La demoiselle, qui se nommait Francine, qui était de Lyon et qui était brune, était aussi heureuse et pleurait de moins en moins.

Ainsi, nous étions au Portugal, à Sétubal et nous avons embarqué sur deux cargos moutonniers, dont le « Sidi Brahim ». Je ne peux pas dire que cela sentait très bon mais c’était comme cela. Les deux bateaux sont sortis du port où nous attendaient deux navires de guerre, deux contre-torpilleurs qui, au bout d’un moment, en pleine mer, ont hissé les couleurs françaises, ce qui nous a fait vraiment plaisir.

Le Sidi Brahim

Les bâtiments nous ont accompagné jusqu’à Casablanca. Le voyage a duré au moins deux nuits. Comme cela ne sentait pas très bon dans la cale, je voyageais avec Francine sur le pont du bateau. Cela sentait un peu le goudron comme sur tous les bateaux, mais il y avait la brise et des nuits merveilleuses étoilées. J’ai passé des moments agréables qui m’ont réconforté de mon séjour à Miranda.

À Casablanca, nous avons été très bien reçus au son de la musique militaire avant d’être envoyés au camp de Médouina qui se trouvait à douze kilomètres de Casablanca. Nous étions gardés par des Sénégalais. Nous avions aussi le droit de prendre quelques temps de repos mais on avait oublié de nous le dire. Il y avait, certes, la possibilité de s’engager, pourtant je voulais obtenir d’autres renseignements et, pour cela, je me suis évadé. Les Sénégalais n’ont rien vu. J’ai marché et je suis arrivée à Casablanca, il était tard, il faisait nuit et je n’ai pas pu avoir de renseignements. Je suis donc revenu.

À ce moment-là, il fallait prendre une décision. J’avais la possibilité d’aller aux États-Unis pour apprendre à piloter ou pour devenir observateur, j’ai pensé que cela serait trop long, car je venais pour combattre. L’officier qui représentait les Forces Françaises Libres était un lieutenant installé derrière une petite table pas très riche. L’officier qui représentait Giraud était un commandant avec une magnifique installation.

Lʼengagement avec Leclerc

De toutes façons, mon choix était fait depuis mon départ : je voulais rejoindre De Gaulle à Londres, donc la France Libre. Après en avoir discuté avec l’officier gaulliste, j’ai cru comprendre que je devais, pour aller à Londres, m’engager dans les Corps Francs d’Afrique. Ce fut fait !

Nous avons traversé toute l’Algérie, nous avons été dirigés vers les confins est-algériens, pour rejoindre la colonne « Leclerc » qui n’était pas encore arrivée. À mon incorporation dans les corps francs, avec les engagés de la Légion étrangère, j’avais perçu une tenue ancienne de l’armée française. Nous avons appris le maniement des armes et tout l’essentiel de la formation militaire. Nos tenues n’étaient pas très adaptées, ainsi j’avais reçu une paire de chaussures de « 43 » alors que je chausse du « 41 », ce qui permettait l’aération des pieds. Et puis, un jour, vers la fin juillet, est arrivée une unité habillée en « Anglais », avec des shorts pas très élégants qui tombaient en dessous du genou, c’était la Force « L » du général Leclerc. Enfin, nous avions rejoint la France Libre.





source : U.S. Military





J’ai été incorporé dans les Forces Françaises Libres du régiment sénégalais du Tchad. Cette unité sʼétait illustrée lors de la bataille de Koufra en Lybie, lorsque quʼelle avait mis en déroute les forces italiennes en nombre très supérieur. À l’issue de la bataille, le 2 mars 1941, le colonel Philippe Leclerc prête avec ses hommes le « serment de Koufra » :« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ». Il respectera ce serment en libérant Strasbourg le 23 novembre 1944 à la tête de la 2e division blindée.












Les véhicules « Bedford » arrivaient des déserts, ils portaient les fanions des groupements nomades du Tibesti, de Borkou et de l’Ennedi. Ces fanions furent transférés sur nos jeeps plus tard, lors de la création de la 2ème DB, au Maroc dans la section de reconnaissance du 1er bataillon du régiment de marche du Tchad.

Nous avons fait mouvement vers l’Algérie, dans la région de Djidjelli. L’intendance française n’appliquait pas des règles d’hygiène très rigoureuses quant à la nourriture, et elle balançait les détritus sans précaution. Or, dès que le soleil se levait, des bataillons de mouches se précipitaient pour attaquer à un point tel qu’il était impossible de rester au « garde-à-vous » et qu’il fallait se munir de branches d’arbre avec des feuilles pour chasser ces maudites bestioles…Et j’ai vu la fameuse division Leclerc reculer devant les mouches, en déplaçant le cantonnement !

Nous sommes retournés au Maroc, où la division a été formée entre Casa et Rabat. La division a perçu progressivement son matériel américain.

Nous habitions au bord de la mer, toutefois on ne pouvait pas se baigner, car c’était dangereux.

Nous logions sous des tentes à deux places, moi, j’étais seul sousla mienne : le luxe !

La petite plage s’appelait Rose-Marie. Il y avait, comme en France, des cabines. Nous étions soumis à un entraînement quotidien, la nourriture n’était pas fameuse, mais les Arabes du coin venaient avec leurs bourricots nous vendre des oranges, ce qui nous faisait beaucoup de bien. J’avais toujours les séquelles du camp de concentration de Miranda sur mes jambes bandées, une sorte d’eczéma, cependant, je n’ai jamais été exempté de service. J’aurais pourtant apprécié d’être soigné à l’hôpital. Enfin cela a fini par guérir. Ce qui est curieux, c’est que, après la guerre, lorsque les familles sont revenues sur la plage de Rose-Marie, les petits enfants qui creusaient dans le sable retrouvaient des sardines séchées qui constituaient notre petit déjeuner que nous enterrions dans le sable.

Ensuite, j’ai été affecté à la compagnie du capitaine Sanmarcelli qui était un Corse, comme son nom l’indique, et procureur de la République. Je me suis plus tard retrouvé dans la compagnie d’accompagnement (CA), à la section de reconnaissance composée de 5 jeeps. De temps en temps j’apercevais mes camarades de la 3ème compagnie du capitaine Sanmarcelli qui faisait du maniement d’armes dans une enceinte entourée de barbelés, habillés avec la capote, le ceinturon, le caleçon long américain, le casque et cela sous un soleil de plomb… ce qui devait être bien agréable !

Il y avait, dans cette compagnie, deux camarades avec qui j’avais partagé le camp. Lorsque nous étions arrivés dans cette compagnie, on nous avait demandé quels étaient ceux qui savaient conduire. Quinze étaient sortis du rang, il en fallait seize… je me suis dévoué. Je n’avais jamais conduit. On m’a donné un half- track, j’ai réussi à ne pas le renverser. Je me suis débrouillé, c’était mes débuts de conduite automobile, et cela a eu son importance par la suite.

« Un permis de conduire » improvisé provisoire, qui dura…

Je me suis finalement retrouvé sur une jeep qui comportait trois ou quatre hommes d’équipage et qui était armée d’une 12,7 sur un trépied dont j’étais le tireur, et une mitrailleuse de 7,62 pour celui qui se trouvait à côté du conducteur. En plus, chaque homme avait une carabine américaine et des grenades. Nous étions habillés à l’américaine sauf la montre, car l’intendance française n’avait pas eu les moyens de nous offrir une montre. De plus, de par ma fonction sur la mitrailleuse 12,7, j’étais entraîné comme détecteur de mines et lance-flammes, puisque nous avions aussi ce matériel. On ne pouvait pas s’ennuyer, car on nous occupait tout le temps. Il n’y avait aucun avancement possible, parce que nous avions affaire à des troupes professionnelles qui étaient dans la carrière depuis un certain temps. Ils avaient surtout besoin de troupe et nous étions la troupe. Nous construisions des plans de bateaux dans le sable pour y installer nos blindés, en fait nous brassions beaucoup de sable sous un soleil très chaud. Les distractions étaient les corvées de cuisine, il n’y avait pas d’eau chaude et il fallait nettoyer les chaudrons : c’était franchement désagréable. En dehors de cela, nous avions quelques permissions, assez rares, pour aller à Casablanca qui se trouvait à une soixantaine de kilomètres. Nous y allions en G.M.C., pour une journée, mais parfoisles perms étaient supprimées sans que nous sachions pourquoi. Par exemple un jour, il avait été nécessaire de coudre des boutons de l’Infanterie coloniale à la place des boutons US de nos uniformes. Nous avions perçu les boutons le soir et pour aller en perm, ils devaient être cousus pour le lendemain. C’est là que j’ai appris à coudre en y passant la nuit.

C’est à cette occasion que j’ai rencontré, à Casa, un garçon qui était avec moi au centre professionnel à Pavillons-sous-Bois. Je l’ai retrouvé dans les pissotières d’un grand dancing de Casa, il s’appelait Renou. Je l’avais perdu de vue. Après la guerre, je l’ai retrouvé un jour à Bondy, il était tout pâle, car il avait été très sérieusement blessé au coeur, dans son char. Il s’en était tiré, parce qu’il était solide.
Mais je continue.

A Casa, je vois une très jolie femme blonde qui devait avoir peut-être trente ans, avec un chignon, elle était accompagnée d’un monsieur qui avait quarante-cinq ans environ. Je réussis à entamer la conversation… Et, lorsque je suis revenu en perm à Casa, j’ai pu sortir avec cette jolie femme. Nous allions nous promener à l’extérieur de Casa, près d’un phare, sous les arbres, dans une calèche… c’était très sympa et très agréable. Pendant ce temps la phase de préparation se poursuivait, elle était longue, il fallait toucher le matériel, se former…

(à suivre)

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre 1ère partie

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre 2ème partie

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre 3ème partie