Le point de départ de notre enquête est une correspondance trouvée sur le net datée de 1904. Emile Duval, journaliste, adresse une demande d’emploi à Henri Rochefort. Dans cette lettre il se recommande d’Ernest Roche. Ce sont ces deux derniers noms qui ont retenu notre attention dans un premier temps.

lettre Duval

Le premier, Henri Rochefort, directeur du journal l’Intransigeant, a été surnommé « l’homme aux vingt duels et trente procès ». De son vrai nom, Victor Henri de Rochefort-Luçay, (1831-1913), est un journaliste, auteur de théâtre et homme politique. Grand polémiste dans les pages de ses journaux (La Marseillaise, La Lanterne, L’Intransigeant), il défend des options politiques radicales voire extrémistes qui lui vaudront des condamnations, notamment au bagne de Nouméa dont, fait unique, il parvint à s’échapper en 1874.

Henri Rochefort, portrait par Edouard Manet

Henri Rochefort, portrait par Edouard Manet

 

 

Evasion de Henri Rochefort, peinte par Edouard Manet

Evasion de Henri Rochefort, peinte par Edouard Manet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le second Ernest Roche (1850-1917) est un homme politique socialiste-boulangiste. Il fut député de la Seine a deux reprises et, entre autre, un des fondateurs de la soupe populaire.

 

Ernest Roche, portrait par Maurice Dulac, Le Monde moderne, décembre 1898.

Ernest Roche, portrait par Maurice Dulac, Le Monde moderne, décembre 1898.

Emile-Joseph Duval est né le 27 septembre 1874 à Paris 14ème d’une famille modeste. Il fait d’assez bonnes études et obtient son baccalauréat. Il entre à l’administration de l’Assistance publique en qualité d’expéditionnaire en mars 1886 mais doit en démissionner au début du mois d’août 1887 pour des raisons inconnues.

Il fonde des journaux financiers, se fait des relations dans le monde politique et est chargé par plusieurs députés de s’occuper de leur élection. Il est ainsi recruté par Louis Dausset en 1902 et il est bientôt nommé secrétaire adjoint de son comité électoral. Louis Dausset a participé, en 1898, à la création de la Ligue de la Patrie Française, groupe nationaliste et antisémite, une des organisations les plus anti-dreyfusardes.

En 1904, date de la lettre, Emile Duval, domicilié à Noisy-le-Sec, cherche un emploi. Henri Rochefort ne donnera pas suite puisque Duval devient en 1905, secrétaire de rédaction et rédacteur en chef d’un journal patriotique créé par Dausset. Il ne se sépare de cet homme politique qu’en 1908.

Sans emploi stable à la fin de l’année 1910, il est recommandé par Dausset pour entrer au conseil d’administration de la société immobilière des bains de mer de San Stéphano, où ce dernier est entré un mois auparavant. Pour des raisons inconnues, il démissionne en décembre de la même année.

Présenté à Miguel Vigo, dit Almereyda, rédacteur en chef du journal Le Bonnet Rouge, Duval devient administrateur et rédacteur, le 30 avril 1916. Il y écrit alors quotidiennement en première page un article de soixante à quatre-vingt lignes signé « M. Badin ». Organe d’extrême gauche, le Bonnet Rouge a défendu le rapprochement franco-allemand avant le premier conflit mondial.

le Bonnet rouge

 

En 1917, une enquête est dirigée contre le journal après qu’on eut découvert des transferts de fonds allemands. Le capitaine Pierre Bouchardon, magistrat détaché comme juge d’instruction auprès du 3e conseil de guerre est chargé de l’enquête. Duval est accusé de recevoir de l’argent de l’étranger pour infléchir la ligne éditoriale : de pacifiste qu’il était, le journal devient franchement antimilitariste, provoquant l’intervention fréquente de la censure.

Les choses vont se gâter pour Emile Duval. Le 15 mai 1917, il est arrêté à la frontière suisse avec un chèque de provenance allemande. Il va tout d’abord être inculpé de commerce avec l’ennemi car il a prétexté une affaire de liquidation des « Bains de mer de San Stefano ».

procès presse 2Procès presse

 

Photos du procès

bonnet rouge conseil de guerre Duval 1er rang 2ème à gauche

 

 

 

 

 

 

 

Au cours du procès qui débute le 29 avril 1918, le lieutenant Mornet, commissaire du gouvernement, reconnaît à Emile Duval « une culture profonde, une intelligence remarquable et un talent de plume véritable. » Les qualités indiscutables de « ce petit vieux aux allures discrètes de sacristain » sont malheureusement révélées tardivement et, âgé de cinquante ans quand il commence sa collaboration au Bonnet Rouge, Duval est un journaliste déjà aigri et plein de fiel contre cette société qui n’a pas su le reconnaître à sa juste valeur.

Le 11 mai 1918, Mornet réclame la peine de mort pour Duval.

Emile Duval est fusillé le 17 juillet 1918 pour “avoir reçu de l’argent de l’Allemagne”.

Sources :

– Léon Daudet, Souvenirs politiques.

– BNF Gallica, procès Duval, photographie de presse