Tout le monde a vu la statue qui se trouve devant la Mairie, sans y faire vraiment attention pour certains et pour d’autres elle intrigue en se demandant ce qu’elle représente.statue aujourd'hui

La statue en 2014

Je vais tenter de vous en raconter l’histoire ainsi que celle de son auteur, le sculpteur BOYAN.

Le 23 octobre 1967, le conseil d’administration de la SEMINO, composé d’élus municipaux, de représentants de bon nombre d’entreprises noiséennes, du directeur adjoint de l’équipement désigné par le préfet, décidait à l’unanimité de demander au sculpteur Boyan, connaissance de M. Quatremaire, maire de Noisy-le-Sec à l’époque, la réalisation de la statue « La Ville ». Elle fit beaucoup discuter. Lors des études du plan d’urbanisme, il avait été prévu de demander à un artiste une œuvre évoquant la transformation de la ville. C’est à cette époque que les tours d’habitation de l’avenue Jean Jaurès à la rue de Brément sont sorties de terre.

Elle fut d’abord installée en 1971 dans le square de la Justice de Paix appelé Place des Cités Unies (maintenant Square Maréchal Joffre – devant la Galerie) et ensuite déplacée devant la Mairie (square Maréchal Foch) en 1980.

Elle symbolise la naissance et la rénovation de la ville. Elle représente une femme qui enfante la ville. Son existence est due à la volonté de la Municipalité d’union démocratique d’intégrer à ses réalisations la création artistique, car il est vrai que le rayonnement culturel d’un pays ne se mesure pas seulement au nombre de ses artistes mais à leur possibilité de créer et de faire connaître leurs créations.

Parlons d’abord du sculpteur.

BOYAN, de son vrai nom Raïnov Boyan est né à Sofia (Bulgarie) en 1921 dans une famille entièrement vouée à l’art. Son père Nikolai Rainov (1889-1954) est un artiste bulgare renommé, auteur de plus de 80 volumes sur l’histoire de l’art, chercheur, traducteur, linguiste, à la tête du département de l’Histoire de l’Art de Sofia.

Le destin de Raïnov Boyan a été marqué par les succès mais aussi par des drames personnels. Suite à la guerre froide en 1946 lui et sa femme (aussi sculpteur) quittent la Bulgarie pour Paris où leur fille Diana-Maria naitra. Quatre ans plus tard elles repartiront en Bulgarie mais ne pourront pas revenir et sa fille ne reverra son père qu’en 1978.

 

Boyan dans son atelier

Boyan dans son atelier

Dans ses débuts il côtoie Christian et Yvonne Zervos, amis et protecteurs des arts. Dans leur domaine de la Goulotte près de Vézelay, il commence le dessin et la sculpture sur pierre et il y rencontre quelques figures marquantes, notamment Cocteau et René Char pour qui il enlumina « Les Compagnons dans le jardin » et ce dernier lui consacra un poème « Boyan Sculpteur ». Il fit également des illustrations pour un livre de Paul Eluard « La Belle et la Bête ».

rené char

Il s’installe à Chaville où il aura son atelier de 1968 à 1973 au 35-37 rue Anatole France. On dit de lui qu’il est un « ogre », il dévore le métal comme d’autres le pain. En une année deux sculptures voient le jour : « La Ville » (6 tonnes) – celle de Noisy-le-Sec  – et « Les Hommes et les Machines » (1 tonne) pour la ville de Châtenay-Malabry. La sculpture est une discipline maudite parmi toutes les disciplines plastiques car elle exige de l’artiste le maximum d’efforts physiques et les plus grands sacrifices financiers avant même d’être connu par le public. Boyan attendra 1962-1963 pour voir ses premières œuvres achetées par la ville de Paris et pour recevoir son premier prix de sculpture à Monte Carlo pour sa sculpture « Les Enlacés ».

 

Boyan et son prix

Boyan et son prix

Boyan n’est pas un sculpteur à la mode qui fait exécuter ses maquettes par des hommes de main. A Chaville, dans son atelier, Boyan est seul, seul avec la matière. Il se transforme en forgeron : transpiration, fatigue, vapeurs d’étain. Boyan a une existence laborieuse, simple et presque rustre, éloignée des bruits mondains. Des mois durant, nuit et jour, il s’acharne. En quarante ans de travail il produira une cinquantaine de sculptures. Pour des raisons économiques, mais aussi parce que la matière en est inattendue, Boyan se dirige rapidement vers la sculpture d’étain. Certes il a travaillé en taille directe le bois, le marbre, la pierre tendre, le granit, l’onyx mais l’étain apporte une matité et parfois un poli, une lueur d’argent bleuté dont il va jouer dans toutes les dimensions. Chaque œuvre de Boyan est d’emblée monumentale, c’est-à-dire qu’elle peut être agrandie aux dimensions de la cité. L’art de Boyan se situe entre les formes abstraites les plus épurées et les compositions dramatiques. Les formes qu’il sculpte sont capiteuses, pleines, aux courbes harmonieuses.

C’est une sculpture de Boyan que l’Administration des PTT a retenue comme sujet d’un timbre qu’elle émet en 1982 pour honorer la famille. Dans ce groupe qui unit le père, la mère et l’enfant on devine, traduits par l’épanouissement des Formes harmonieuses, la joie de vivre et le bonheur de se savoir aimé.

POSTE

Une exposition de ses œuvres fut organisée par la ville de Chaville en 1970 à la Maison des Jeunes et de la Culture. A la suite de cette exposition, qui eut un grand succès, Boyan fut nommé citoyen d’honneur de la Ville en 1971 par le maire, Gabriel Ausserre.

Toujours à Chaville, en 2003, fut inauguré un square à son nom orné de quelques unes de ses œuvres dont « L’Eveil ». Deux paysages peints par son épouse Fay Vidal font partie du legs. Après les changements de régime en Bulgarie, deux expositions sont organisées à Sofia. On peut voir maintenant à la Galerie Sredets, non seulement des sculptures mais également des dessins, lithographies et illustrations qui n’avaient jamais été exposés.

A part Chaville et Noisy-le-Sec, ce qui reste de son œuvre en région parisienne :  Un relief en laiton martelé datant de 1967 et installé au groupe scolaire Henri Wallon à Vitry sur Seine

  • vitry
  • « Les Hommes et les Machines » (1 tonne), sculpture posée dans le parc du lycée technique de Châtenay-Malabry

Il meurt en 2005 à l’âge de 84 ans.

Revenons maintenant à la sculpture de Noisy.

Elle fut donc installée en 1971 Place des Citées Unies (à côté de la Galerie) elle est en étain et son poids est de 6 tonnes En ce qui concerne son financement, reprenant les mêmes principes que pour la décoration artistique des groupes scolaires, le conseil d’administration décidait d’appliquer un pourcentage sur le prix de revient de chaque opération.

La statue a coûté 29 millions d’anciens francs, y compris sa mise en place. L’opposition au sein du Conseil Municipal en la personne de M. Chevalier, représentant de l’U.D.R., affirmait quant à elle que cette somme avoisinait les 40 millions. Ce prix de revient a été inclus dans le financement des nouveaux appartements de la ville. Pour être précis cela représente une charge réelle de 0,90 F par mois pour chaque locataire (mais pendant combien de mois, on ne le sait pas !!). Pour se rendre compte de ce que représente la somme de 29 millions d’anciens francs, c’est l’équivalent à l’époque de 29 voitures Renault type R16 (haut de gamme de l’époque).

En février 1980, elle sera retirée de son emplacement, près de l’ancienne  Bibliothèque municipale, pour être remise en état après avoir subi des actes de vandalisme et pendant 3 mois elle est confiée aux soins de l’artiste qui l’a fait naître. Elle sera ensuite réinstallée en juin/juillet 1980 sur la plateforme prévue à cet effet Place du maréchal Foch, devant la mairie, où elle sera mieux mise en valeur et moins sujette à détérioration.

signaturePour conclure on peut se demander si aujourd’hui le symbole qu’elle représentait à l’époque est encore remarqué et compris par les passants puisque celle-ci est loin d’être mise en valeur surtout qu’elle n’apparait dans aucune publication de la mairie.

Cette réflexion vient du fait que pendant l’élaboration de cet article peu de gens questionnés connaissent l’existence de cette statue et même s’ils l’ont vue n’ont aucune idée de ce qu’elle représente.

Chantal Boivin

source : Archives Municipales