Mon arrière grand-père Adrien Gaumer est né en juin 1875 dans le village de Glos à coté de Lisieux dans le département du Calvados, en Normandie. Il réside dans cette commune où il exerce la profession de cultivateur.

Au moment de la mobilisation générale en août 1914, il est déjà un homme « d’âge mûr » (39 ans), marié et père de deux enfants (dont ma grand-mère paternelle). Il avait fait son service militaire au 39ème régiment d’infanterie de Rouen en 1896-1898 et ensuite de 1902 à 1905, il avait été rappelé plusieurs fois pour participer à des périodes d’exercices militaires comme cela était souvent le cas à l’époque. C’est pourquoi, en 1914, il fait partie de l’armée territoriale (soldats âgés de 34 à 49 ans). Ces soldats étaient parfois surnommés les « Pépères » par les jeunes recrues de 20 ans…

D’après son registre matricule il est mobilisé précisément le 24 août 1914 au sein du 20ème régiment d’infanterie territoriale (les régiments territoriaux ont été mobilisés plus tardivement). En principe les unités territoriales n’étaient jamais engagées en première ligne, bien que parfois cela ait pu arriver, car composés de soldats « âgés ».

Chez un photographe à Noisy-le-Sec en 1915

C’est ainsi qu’Adrien s’est retrouvé à Noisy-le-Sec pendant plus d’un an de fin septembre 1914 à décembre 1915. Comme la plupart des soldats, il échangea durant la guerre une correspondance avec ses proches. Un certain nombre de cartes postales ont été conservées dont deux rédigées à Noisy. D’après une autre carte postale qui lui a été adressée en décembre 1914, à Noisy, par un de ses employés, nous savons qu’il faisait partie du 2ème bataillon de la 8ème compagnie de la 14ème escouade du 20ème régiment d’infanterie territoriale (20ème R.I.).



D’après l’historique du 20ème R.I. le 2ème bataillon est « mis à la disposition de la gare régulatrice » de Noisy-le-Sec. L’auteur de cet historique régimentaire (rédigé après la guerre) explique que : « les 3è, 7è et 8è compagnies resteront jusqu’à la fin de la campagne à fournir une garde nombreuse à la gare de Noisy-le-Sec, des corvées de ravitaillement et des convoyeurs. Rôle ingrat et pénible par excellence. Là, pas d’actions héroïques, pas de citations, pas de gloire, pas d’honneurs, mais un labeur régulier, dur, fatigant, pour nos vieux « Pépères » qui, d’un oeil vigilant et par tous les temps, regardent passer les trains qui inlassablement filent vers le front et emportent dans leurs flancs, dans la nuit, là-bas tout ce qui peut, tout ce qui doit faire la guerre« .

(extrait de l’Historique du 20e Régiment Territorial d’Infanterie pendant la Grande Guerre 1914 – 1918, PARIS, Henri CHARLES-LAVAUZELLE, 1920).


Les propos de mon arrière grand-père dans une des deux cartes, rédigées à Noisy-le-Sec et adressée à son épouse Madeleine à Glos vont dans ce sens également. Le 23 novembre 1914, il écrit « j’ai passé la matinée à charger des vivres et du charbon comme cela on n’a pas froid. Le temps est clair nous n’avons pas de neige.« 

Sur le registre matricule d’Adrien, il est indiqué que le 15 décembre 1915, il quitte le 20ème R.I. pour rejoindre le 36ème régiment d’infanterie dans le département de l’Aisne. C’est donc à cette date exacte qu’il quitte Noisy.

Par la suite, d’après la mémoire familiale (je n’ai pas pu le vérifier à partir de documents) mon arrière grand-père Adrien Gaumer participa au ravitaillement des tranchées, notamment la nuit, ce qui n’était pas sans danger en raison des bombardements et des tirs ennemis. Probablement assez chanceux d’avoir passé plus d’un an à Noisy-le-Sec en 1914-1915, il fut vers la fin du conflit « rattrapé » par celui-ci. Il fut « gazé » dans les Ardennes au moment où les troupes allemandes évacuaient ce département. Hospitalisé et soigné il ne garda pas trop de séquelles physiques de cette attaque au gaz.

Après la guerre, Adrien a repris son activité de cultivateur en Normandie. Lui et son épouse eurent deux autres enfants. Lors des réunions familiales avec ses enfants et petits enfants, il parlait souvent de la Grande Guerre. Adrien est décédé en 1965 à l’âge de 90 ans.

Etant né après sa disparition et n’ayant pas pu l’interroger directement, j’ignore quel souvenir il a pu garder de Noisy. D’ailleurs avant de relire sa correspondance récemment, je n’avais que vaguement conscience qu’il y avait séjourné… C’est ainsi en cherchant à retracer son parcours que j’ai réalisé qu’il y avait passé le début de la  guerre.

Le parcours de mon arrière grand-père à  Noisy illustre le fait que cette commune était un carrefour important d’un point de vue logistique sur le chemin qui menait au front. Une intense activité et présence militaire devait sans doute devait y régner. A son modeste niveau, il y participa.


Olivier Chollet, son arrière-petit-fils