La Première Guerre mondiale fut un tel choc tant sur le plan militaire que démographique que chaque ville et village en porte la mémoire :

– 1,3 million de tués et de disparus

– 3,4 millions de blessés et mutilés

– 8 millions de mobilisés sur une population de 40 millions d’habitants

Dès 1915, diverses mesures ont été prises pour prendre en compte le désarroi national. Création de la mention « Mort pour la France » le 2 juillet 1915 et mise en œuvre des sépultures perpétuelles entretenues aux frais de  l’état (loi du 29 décembre 1915).

A la fin de la guerre le bilan moral de la Grande Guerre est un immense traumatisme. La nécessité d’un hommage collectif s’impose. Les communes désirent construire un monument commémoratif. L’état exprime sa volonté de donner un cadre légal à ce désir (loi du 25 octobre 1919). C’est ainsi que les noms des défunts doivent être recensés dans un Livre d’Or remis par l’Etat à chaque commune de plus il est octroyé une subvention aux communes pour la réalisation de leur monument. Il n’y a pas d’obligation – commune  sans monument soit parce qu’elles n’ont pas eu de mort, soit par idéologie politique. Les subventions seront versées entre 1920 et 1925.

Environ 36 000 monuments en France.

A Noisy-le-Sec le nombre estimé de morts et disparus est de 600, soit environ 4% de la population de l’époque – 13 648 habitants en 1911. Un pourcentage légèrement au-dessus de la moyenne nationale. Devant un bilan aussi lourd les représentants de la Ville se doivent de réagir.

Dans un premier temps, en 1920,  la Municipalité accorde des concessions gratuites de cinq ans au cimetière pour les victimes civiles ou militaires ayant, au moment de leur décès, leur domicile à Noisy-le-Sec.

La même année, deux tableaux d’honneur des soldats noiséens décorés et cités à l’ordre du jour sont accrochés dans le hall de la mairie (partie démolie en 1970). Un de ces panneaux, restauré, est visible dans le hall d’accès à la salle des mariages.

Pour ces morts tombés sur les divers champs de bataille un monument doit être érigé, digne d’eux.

Le plus souvent le monument est construit autour des lieux symboliques ; 50% sur la place publique/mairie, 25% près de l’église, 15% dans le cimetière, autres choix plus excentrés.. A Noisy-le-Sec c’est ce dernier lieu qui est retenu.

« Ainsi le monument, gage visible de notre reconnaissance, formerait une entrée d’honneur à la nécropole noiséenne. Il serait en belle place, propice aux manifestations grandioses qui chaque année se dérouleraient pour une commémoration perpétuelle ».

Sa construction est décidée par un vote du Conseil Municipal en date du 7 mars 1920 qui fixe les caractéristiques du projet : « … un monument doit être élevé à Noisy, tant pour abriter les restes des soldats inhumés sur son territoire que pour commémorer le souvenir des 600 Noiséens tombés au champ d’honneur pendant la guerre de 1914-1918. …Le monument sera élevé sur la lisière de l’agrandissement prévu du cimetière, en bordure de la clôture qui le séparera de la voie nouvelle allant de la gare à la rue Saint-Denis, et dans l’axe de celle également projetée dans le prolongement du boulevard Gambetta… Les tombes des militaires isolées dans le cimetière seront relevées et groupées au pied de ce monument. ».(ce dernier point n’a pas été réalisé).

En complément de la subvention accordée par l’état, une souscription est lancée par la commune : un monument coûte cher et les finances communales après guerre ne sont guère florissantes.

La Municipalité organise un concours d’idées pour l’érection d’un monument à la mémoire des Noiséens morts pour la France. Le rendu du concours est fixé au 24 décembre 1921.

Le règlement du concours est visible aux archives municipales. Dans son introduction il reprend les termes de la délibération du conseil municipal. Le souci des élus est double : il faut abriter les restes des nombreux soldats qui affluent à cette période et il faut aussi honorer leur mémoire. Pour quoi ne pas faire d’une pierre deux coups en choisissant comme lieu d’implantation du monument, la lisière de l’agrandissement prévu du cimetière ? On en profitera également pour restructurer le quartier en créant deux voies nouvelles. Nous sommes dans une logique d’aménagement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Petite parenthèse sur le retour en nombre de corps de soldats en 1920. Un vif débat prend place à la fin du conflit sur le devenir des corps des soldats inhumés dans les cimetières provisoires. Certains sont partisans de laisser les combattants enterrés aux côtés de leurs camarades sur les champs de bataille où ils sont tombés. D’autres souhaitent le retour des corps aux familles. Finalement, c’est une solution intermédiaire qui est choisie. Le 31 juillet 1920, le gouvernement français décide ainsi de créer des cimetières nationaux. Toutefois, par le décret du 20 septembre 1920, il autorise les familles qui le souhaitent à rapatrier le corps de leur disparu aux frais de l’état.

21 projets sont présentés au jury qui délibère en janvier 1922. Le classement s’établit de la façon suivante : 1er    Fernand Feuzy, 2ème Bruno Pelissier, 3ème Charles Barrois.

Le projet définitif ne fut retenu qu’en 1923. Ce sont sans doute des raisons financières, qui firent choisir en définitif  le projet de Charles Barrois, architecte communal, projet remanié et conforté par la présence d’un sculpteur Henri Dieupart.

Les auteurs :

Charles Barrois, (1863-1929), habite au 67 de la rue de la Forge – l’immeuble existe toujours – architecte communal  – Il repose à l’ancien cimetière.

Il fait équipe avec son ami franc-maçon Henri Dieupart (1888-1980). Celui-ci est surtout connu pour ses vases de style art déco qu’il réalise avec les frères Simonet. Il a réalisé le monument aux morts de Chelles.

Le souhait de la Ville est triple. Il s’agit de conjuguer l’érection d’un monument avec la nécessité d’agrandir le cimetière pour accueillir le retour en grand nombre des corps à partir de 1920 et également permettre une urbanisation du quartier par la création de voies structurantes.

L’avenue de Verdun est ainsi créée, elle relie la gare à la rue Saint Denis. L’avenue Clémenceau permet un accès direct au monument depuis la rue Jean Jaurès. Dans un premier temps, le 2 décembre 1924, cette voie porte le nom d’avenue de la Victoire. Le 14 février 1930, on lui donne le nom de Georges Clémenceau, surnommé le Père-la-Victoire.

Cette réalisation est  saluée par la presse professionnelle de l’époque. Dans  L’Architecture Usuelle, du 16 octobre 1921 nous pouvons lire :

« Le Monument Commémoratif de Noisy-le-Sec, oeuvre de notre estimé confrère Charles Barrois, a reçu les félicitations de la Commission des Beaux Arts pour le caractère élevé de sa composition. »

 22 août 1924, Le Conseil Municipal arrête le coût du projet, soit 175 641,07F (environ 191 000€) non compris « les travaux de fourniture et de taille de pierre, de sculpture et gravure traités de gré à gré ».

La première pierre est posée le 11 novembre 1924.

Le monument est en pierre d’Euville, département de la Meuse – calcaire d’un grain très fin et d’une grande blancheur – matériau idéal pour la sculpture.

Composition du monument : une grande sobriété et une harmonie des proportions – un mur d’une trentaine de mètres dont un tiers au milieu consacré au monument proprement dit. Le monument lui même est partagé en tiers dont la partie centrale est occupée par un haut relief. Les portes situées de part et d’autre permettent la circulation des cortèges – ceci était également une des  exigences du règlement de concours : «  deux portes assez larges pour permettre une circulation commode autour du cimetière militaire le jour de certaines cérémonies afin que cette circulation ne gêne pas le service ordinaire des inhumations et ne trouble pas le recueillement dans les autres parties du cimetière. »

Le monument est dominé en son centre par une représentation de la Croix de Guerre. La médaille porte un médaillon représentant un visage féminin de profil portant un bonnet phrygien (symbole de la Liberté), c’est Marianne, la République. Les  glaives croisés symbolisent l’armée qui défend la République. On peut y voir un renvoi à l’Antiquité et au serment des Horaces dans le tableau de David au Louvre.

Le laurier stylisé symbole de la victoire.

La sculpture du motif est réalisée en juin 1925. Elle s’intitule « L’arrêt de la Ruée ». Une énergique République rassemblant toutes ses forces pour résister à l’invasion. Cette énergique République avec son bonnet phrygien, ses pieds nus, sa tunique plissée, tient fermement de sa main gauche un bouclier derrière lequel s’abritent les soldats.  Dans sa main droite, une lance, arme de la cavalerie légère, prolonge son bras et semble abriter le groupe. L’expression de son visage, sa bouche grande ouverte ne sont pas s’en rappeler la Marseillaise de  Rude à l’Arc de triomphe de Paris. Elle domine les soldats par sa taille et sa position et veille sur eux.

La pose du bas relief central

Les soldats sont représentés sous cet idéal supérieur pour lequel ils ont donné leur vie. Le chasseur alpin qui figure les troupes de choc, est reconnaissable à son béret. L’armée territoriale, est représentée par les poilus. Trois poilus sont montrés en plein effort. Le mouvement devient élan.

Il faut noter le détail des uniformes : la casque Adrian du nom de son inventeur, la capote Poiret dessinée par le grand couturier, les brodequins, les bandes molletières. L’expression des visages est également soignée et l’on distingue les moustaches très en vogue à cette époque. L’armement : on distingue la cartouchière et les bretelles. Puissante artillerie : deux poilus sont arc-boutés pour faire avancer une pièce d’artillerie. Sans doute un canon de 75.

En plus de la sculpture figure du texte. Les noms des batailles : sur le projet Vaux, Ypres, Champagne, Verdun, Somme, La Marne, l’Yser, Meuse, Lens et Orient. Les noms ne sont pas là pour rappeler les combats et l’étendue des pertes mais ce sont des motifs de fierté patriotique. En étant gravées sur le Monument les batailles deviennent l’équivalent de Valmy ou d’Alésia.

Une inscription surmonte le tout : « Leur effort et leur vertu ont assuré et sanctifié la victoire ». L’emploi du singulier souligne la somme de destins individuels qui ont permis d’assurer et de sanctifier la Victoire. L’emploi du verbe « sanctifier » n’est pas anodin. La racine latine signifie « saint ». Il contribue à attribuer un caractère sacré, noble, exceptionnel  à cette Victoire.

Nous sommes donc devant un Monument glorifiant les héros et la victoire – démonstration de vainqueurs.

Il n’en est pas de même pour tous. Citons le monument aux morts de Gentioux, d’inspiration pacifiste, situé dans le département de la Creuse. Le monument est constitué d’un enfant le poing tendu vers l’inscription « Maudite soit la guerre », symbolisant la douleur et la révolte après la perte d’un père lors de la Première Guerre mondiale.

Le monument a deux faces. Côté intérieur du cimetière, nous passons du domaine public de la commémoration, au domaine sacré de la mort et du souvenir. C’est là que sont inscrits les noms.

L’arrière du monument a été entièrement refait suite au bombardement du 18 avril 1944.

A l’origine se trouvent les inscriptions suivantes : au-dessus des noms : Pro Patria – Pour la Patrie. Le choix du latin correspond au goût de l’Antique de l’époque.

En-dessous des noms : Une citation de Victor Hugo : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie. »
– extrait du poème Hymne tiré du recueil Les Chants du Crépuscule 1835.

Le monument est  inauguré le 1er novembre 1925. Cette inauguration est ainsi associée au cérémonial de la fête des morts. Les morts de la guerre sont  célébrés en même temps que  les autres défunts de la collectivité. Le choix du cimetière est aussi celui de la tristesse et de la peine retenue.

L’inauguration est organisée avec lustre et vécue dans la ferveur des grandes émotions. Services funèbres, défilés, discours, dépôts de gerbe, appel des noms, sonnerie, musique…

Ce monument est un des plus tardifs de France. Après 1925 plus aucun monument glorifiant les victimes de la première guerre ne fut érigé.

La place devant le monument ne sera aménagée qu’en 1927 (plans de Charles Barrois). Elle porte le nom du Père Daniel Brottier (1876-1936), fondateur de l’Union Nationale des Combattants.

Bombardement du 18 avril 1944 – dommages surtout côté intérieur.

Le monument fut restauré en partie grâce aux dommages de guerre en 1952. M Lefevre est maire.

Le monument est restauré le 22/7/1952 entreprise F Billiez 21 rue des Fillettes La Plaine St Denis, René Pasqueron architecte. On en profite pour agrandir l’ensemble et ajouter deux extensions.

La sculpture est signée de Georges Halbout (1895-1986).

Sur la partie de gauche, le bas relief intitulé « La Résistance » représente  une figure ailée, un génie féminin de la guerre. Rappelez vous la Marseillaise ailée de l’Arc de Triomphe à Paris.

Elle protège sous ses ailes et sous ses voiles un homme et une femme tous deux dénudés et en très mauvaise posture. L’homme semble attaché un à poteau avec un bras derrière son dos. La femme, elle git au sol, morte. Il est rare qu’une femme soit représentée sur un monument aux morts. Il s’agit d’une reconnaissance du rôle de la femme dans la Résistance.

En dessous , 2 dates 1939-1944 et 2 noms de batailles importantes :

– Bir Hakeim : de mai à juin 1942 en Libye le général Goenig résiste aux armées italiennes et allemandes ; c’est la première contribution importante des Forces Françaises Libres

– Kouffra. (à noter l’orthographe) : de janvier à mars 1941en Libye contre les forces italienne. À l’issue de la bataille, le 2 mars 1941, le colonel Philippe Leclerc prête avec ses hommes le « serment de Koufra » :

« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. »

Sur la  partie de droite « La Libération » nous retrouvons la même allégorie ailée . Cette fois-ci elle est armée d’une lance et l’homme à terre est entrain de se redresser. Le soldat à droite est sans nul doute le général Leclerc, reconnaissable à son képi et à sa canne (accident de cheval).

En dessous, 2 dates 1944-1945 et Paris Berchtesgaden (le nid d’aigle de Hitler).

A l’arrière du monument, plusieurs catégories de noms :

Soldats de 1914-1918

Les Conseils  Municipaux débattent : qui sera inscrit sur le Monument ? le plus fréquemment la commune honore la mémoire de l’un de ses natifs parti ensuite dans d’autres contrés mais dont la famille persiste au pays.

Nés ou résidant dans la commune ? Ceci peut arriver à des doublons – courrier pour inscription sur deux monuments (lieu de naissance – résidence – lieu décès).

La liste n’est pas exhaustive – omissions peuvent exister :

– refus des familles de figurer sur un monument civil – Saint Etienne autres noms – site Geneaweb – plaque préau de l’école Brossolette

– Date tardive de transcription du décès jusqu’en  1923  – postérieure à la réalisation du monument – pas à Noisy – réalisation tardive 1925

Chaque commune peut inscrire ce qu’elle veut : nom + initial de prénom – liste alphabétique mais aussi chronologique par année de disparition + renseignements âges, régiment, etc…  ou par grades..à Noisy grand  nombre donc pas de détail.

A Noisy c’est la notion du lieu de résidence dans la commune au moment du décès qui a prévalu.

La liste des morts complète le monument côté intérieur du cimetière. L’ordre alphabétique choisi, donne un sentiment d’uniformité proche de celui des cimetières militaires. « Nommer est l’élément majeur : les noms rappellent les individus, leur redonnent existence, quand la disparition sur le champ de bataille les vouait au néant. »

506 noms. La moitié d’entre eux n’avaient pas dépassé 25 ans. Les deux plus jeunes avaient 17 ans, le plus âgé 48 ans.

Autres catégories :

Soldats de la seconde guerre 1939-1945

Les victimes des bombardements aériens de 1944, inscrits sur la banquette.

Les combattants d’Afrique du Nord, 8 noms.

T O E morts pour la France Indochine, 7 noms.

Une plaque Ceux de Verdun.

 

 

 

Le 27 septembre 2024, notre monument aux morts à obtenu le label

 » Patrimoine d’Intérêt Régional » qui reconnait son unicité.

Cette unicité se caractérise, entre autres par :

  • le fait que le monument constitue mur du cimetière
  • son caractère évolutif, le monument a été agrandi, 2 ailes ont été ajoutées.

 

Anne-Marie Winkopp