« Combien de parisiens et de banlieusards savent-ils qu’il y a une quarantaine d’années encore, voire moins, des jardiniers-maraîchers professionnels exerçaient leur activité pas très loin de chez eux, ou même que certaines exploitations se trouvaient sur les lieux où vivent actuellement certains des seconds ? ». Jean-René Trochet (in Jardinages en région parisienne XVII-XX siècle, Éditions Créaphis).


Si l’on regarde très loin, en arrière…

AU 13 eme siècle, les marais occupent les anciens bras de la Seine où les propriétés ecclésiastiques sont affermées et mises en culture pour l’approvisionnement de Paris en légumes. Les grands propriétaires nobles et les ecclésiastiques commercialisent la production des jardins qui servaient à leur consommation personnelle.

Jusqu’à la fin de l’ancien régime, ces derniers contribuent à affiner progressivement la production légumière et fruitière parisienne ; et les jardiniers de ces familles puissantes constituent souvent la souche des grandes familles de maraîchers.

Le marché parisien n’a pas seulement fait naître des cultures de spécialistes ; il a aussi transformé, à partir du XVI siècle, l’agriculture des campagnes environnantes.

Les capitaux urbains développent la grande propriété et l’agriculture céréalière sur les grands plateaux, les coteaux et les versants des vallées, la petite paysannerie se met aux cultures légumières, fruitières, florales dans d’autres parties du territoire.


Et que l’on se rapproche petit à petit…

À Noisy-Le-Sec, avant la Révolution, la profession de maraîcher ou de jardinier n’apparaît pas encore dans les registres de l’époque, est plutôt évoquée celle de cultivateur laboureur ou laboureur de vignes.

Au XVIII siècle, la propriété foncière de Noisy se caractérise par un fort morcèlement des terres, que souligne la présence sur les cartes d’un grand nombre de lieux dits. Il faudra attendre le XIX siècle pour assister à un vaste mouvement d’acquisition des terres par les cultivateurs.  Ainsi, « en 1845, les 350 familles de paysans de Noisy composant le village avaient acquis la totalité du territoire ». (H. Espaullard, cité in Terrains & Maraîchage, dossier de la ville de Noisy-Le-Sec, 2005)

Paysans – Noisy-Le-Sec

Ces derniers cultivaient plutôt le blé, l’avoine, les fèves, les haricots, les asperges, et les fruitiers comme le noyer, le cerisier, le prunier, le pommier, les fraisiers et les vignes. La culture de la vigne y est importante puisque les 2/5 du finage sont encore plantés en pieds malgré les campagnes d’arrachage successives qui ont eu lieu au XVII siècle.

Les cultures arbustives de long cycle reculent sensiblement. La ville connait un reclassement de son territoire vers les terres labourables, ce qui facilite la reconversion des vignerons de Noisy à la culture de plein champ et de ce que l’on appelait les « menues » denrées  comme les légumes, les herbes ou les pommes de terre, …. Noisy se fait d’ailleurs connaître par une variété hâtive de pomme de terre dite « la quarantaine de Noisy » ou marjolaine tardive.  La culture de la vigne disparaitra de Noisy au début du XX eme siècle, bien que la présence de nombreux pieds de vigne dans les jardins contemporains attestent encore de son existence locale.

Cloche à légume

Par contre, contrairement aux communes environnantes (comme Montreuil), Noisy ne connait pas de mouvement des murs ou technique des murs clos.

Le XIXe siècle est donc l’apogée de la vie rurale de banlieue. Sollicitée par l’accroissement énorme du marché parisien, elle se développe avec vitalité et fournit la plus grande part du ravitaillement de la capitale jusqu’à la fin du siècle où les régions spécialisées de province viennent la concurrencer grâce au développement des moyens de transport.

La demande accrue en primeurs apporte une nouvelle prospérité pour les exploitants de Noisy : ces derniers ont recours  en saison haute à la main d’œuvre agricole d’autres régions (Bourgogne, …). Cette pression sur la production les incite également à adapter leur technique de production pour gagner en productivité sur des surfaces de plus en plus petites, « grignotées » par la pression urbaine. Ils veillent également à échelonner la production sur toute la période de l’année de maturité de consommation des différentes espèces.

Paysans. Noisy-Le-Sec

Les nouveaux moyens de transport et les nouvelles routes permettent enfin aux cultivateurs de transporter leur production plus facilement vers Paris.  En effet, les maraichers, en plus des marchés locaux,  se rendent aux Halles où ils disposent de placements.

Plaques de placement. Halles de Paris

« En 1925, les maraîchers partaient à 20H00 aux Halles afin d’y être à 22H00 pour le placement qui pouvait prendre du temps, jusqu’à 4H00 du matin » (in Terrains & Maraîchage, dossier de la ville de Noisy-Le-Sec, 2005).

Hameau des maraîchers. Rue de Merlan (source : topic-topos)

Après guerre, la culture subit de plein fouet les dommages dus aux bombardements de la ville : ils marquent le déclin progressif de cette agriculture de proximité.  La nécessaire reconstruction et la pression urbaine qui s’en suit pousseront les derniers maraichers à cesser progressivement leur activité ou l’exercer ailleurs.


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Nous vous invitons à découvrir le passionnant témoignage d’Émilienne Chalmandier appartenant à une famille noiséenne de maraîchers, paru dans le dossier publié par la ville de Noisy-Le-Sec intitulé Terrains & Maraîchage, Noisy-Le-Sec en 2005.


Extrait : « On cultivait des légumes : des choux, des haricots verts, des tomates, des carottes, des cornichons, des petits pois, des potirons et quelques fruits, des framboises et des groseilles. Tout était vendu au marché de Noisy. Mes parents, eux, ont fait les Halles de Paris pendant 19 ans. … On vendait les légumes frais et non traités.

Nous n’utilisions aucun produit chimique, uniquement le fumier de cheval…Le marché était situé dans la rue Adrien-Damoiselet, anciennement rue du centenaire, près de la place des Découvertes. C’était un magnifique marché couvert…

Pour l’arrosage, on avait un raccordement aux bornes, fontaine de la Levée et chemin de la ruelle Boissière. »produit chimique, uniquement le fumier de cheval…Le marché était situé dans la rue Adrien-Damoiselet, anciennement rue du centenaire, près de la place des Découvertes. C’était un magnifique marché couvert…


Les outils de la culture des légumes en Seine-Saint-Denis …

Le musée des cultures légumières de La Courneuve, le musée de l’histoire de Rosny-sous Bois ou le musée du jardin horticole de Montreuil présentent un ensemble de pièces-outils utilisées par les maraichers en banlieue parisienne, comme les houes, herses, serpettes, pressoirs paniers…

Et aujourd’hui, quand les légumes reviennent en ville après l’avoir quittée…

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