Réjane Vandevoorde est née le 9 décembre 1921 à Tourcoing. Elle précise, avec  malice, que chez elle « la salle à manger était en France et la cuisine en Belgique ! ». Sa maman  avait choisi d’accoucher chez sa mère.  Elle était mécontente de son accouchement précédent, à la Salpêtrière à Paris, pour son frère Maurice de 4 ans son aîné.

Son père était l’aîné d’une famille de 13 enfants,  il travaillait dans les filatures où il  était chauffeur.   Toute la famille de Réjane vivait dans le nord de la France sauf ses parents qui habitaient rue du Cardinal Mercier, puis, rue d’Amsterdam dans le 9ème arrondissement. Un cousin avait monté, après la guerre de 14, une filature à Louviers et son père y avait trouvé un emploi. Ce dernier a été ensuite chauffeur de maître   puis chauffeur de taxi à la G7. Il travaillait «à la commande» avec une liste de clients attitrés. Sa voiture était équipée d’un poste de TSF qu’elle allait écouter dès qu’elle pouvait. Lors de la «débâcle» de 1940, il a été réquisitionné pour transporter, les archives du Ministère de l’Intérieur, à Bordeaux.

Elle a eu une enfance particulièrement heureuse avec un père très présent qui l’emmenait  partout avec  lui, au football par exemple. Habitant non  loin  du  cirque  Médrano  (aujourd’hui  disparu), Réjane a fait de la gymnastique avec les clowns. Elle a même fait  du  trapèze !  Un jour son père est arrivé en sifflant, surprise, elle est tombée, sans gravité heureusement.

Elle se souvient avoir descendu la rue d’Amsterdam, son terrain de jeu, sur une planche à roulettes derrière un autobus !

Elle est jeannette (scoute) et Enfant de Marie à la paroisse de la Trinité à Paris 9ème.

Réjane se marie en septembre 1941, à l’âge de 20 ans, avec Robert Ferez à l’église de la Trinité. Elle a connu Robert grâce à son frère Maurice. Ils étaient ensemble de 1937 à 1940 au 24ème RI à Bicêtre. Le régiment est décimé à Rethel le 10 juin 1940, blessé, Robert est fait prisonnier. Fin 1940, il est rapatrié comme « blessé de guerre » à l’hôpital Montolivet de Marseille où il est démobilisé. Il rentre à Paris rejoindre sa future épouse en faisant Gare de Lyon – rue d’Amsterdam à pied (rire).

Robert, est né en 1918 à Saint-Quentin. Il est arrivé à Noisy en 1923 avec ses parents qui ont ouvert la « Quincaillerie du Centre » au 37 rue Jean Jaurès après avoir tenu une première quincaillerie à Montreuil-sous-Bois.

Il a été élève à l’école Carnot.

Le directeur de l’école est Georges Tourey (à droite sur la photo)

Robert a fait des études à l’École Du Breuil (École d’Horticulture de la Ville de Paris) pour   être  paysagiste. Il jouait du violon avec l’association  «Les Amis de la Musique».

1937, char des Amis de la Musique, place Jeanne d’Arc

Le père de Robert étant décédé en 1939, sa mère, est seule pour tenir le magasin. Atteinte d’un cancer, en 1941, elle ne peut plus travailler. C’est ainsi que le jeune couple décide de reprendre la quincaillerie « en attendant… mais voilà, une fois qu’on est dedans…! »

Ils habitaient au-dessus du commerce. Sa fille y est née, tandis que son fils est né chez la sage-femme Mme Lessene rue Denfert Rochereau.

Le couple est passionné par les voyages. A la fin de la guerre, Réjane confectionne sa première tente de camping avec de la toile récupérée au départ des allemands. En 1959, avec leurs deux enfants Jean-Claude et Martine et des amis, ils partent en camping jusqu’au Cap Nord. « Quelle aventure ! » se souvient-elle.

1959, le voyage en Laponie.

Histoire du commerce :

Grâce à des photos successives, nous pouvons retracer l’histoire de ce commerce depuis le début du 20ème siècle. Il s’est toujours agit d’une quincaillerie.

A. Multon successeur de la Maison Oudin

Puis L. Ferez succède à la Maison Multon.

Réjane cite tous les noms des personnages figurant sur la photo.  La grand-mère Ferez, au centre, repose  au caveau de la Famille Ferez à l’ancien cimetière.

1931, Léopold-William et Suzanne Ferez à l’entrée de leur magasin.

Avant guerre, des quinzaines commerciales étaient organisée. Tous les commerçants, de la rue Jean Jaurès, sortaient tout sur le trottoir.

1937, la quinzaine commerciale

Quand elle est arrivée à Noisy, en 1941 après son mariage, Réjane ne connaissait personne, mais elle se souvient avoir été bien accueillie par les commerçants du quartier, Fosse le café-tabac, Besner père le boucher, Joly le boulanger rue Henri Barbusse.

Face au magasin, le café Fosse et, en suivant, le magasin singer et le cinéma l’Eden.

Réjane dans le magasin en 1948.

Le magasin en 1943.

Exposition/Vente rue de Bir Hakeim dans les années 60.

Le magasin en 1960.

 

 

 

Photos du magasin dans les années 1967 / 1968.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le coin cadeaux dans les années 80.

Un des plus beaux magasins de Noisy. L’inventaire annuel, mobilisait toute la famille. On ne dénombrait pas moins de 6000 références !

«Qu’est-ce que j’avais comme bazar, quand j’y pense ! »

Son mari, atteint de la Maladie d’Alzheimer, décède le 31 décembre 1981 à l’âge de 63 ans. Elle prend sa retraite en 1985 et vend le magasin. Elle a 64 ans. Il a fallu vider la quincaillerie. Elle a soldé et vendu les grosses pièces à d’autres commerçants de la partie.

Elle vend à une fleuriste, précédemment installée rue Jean Jaurès près de la pâtisserie Charpentier. Celle-ci a vendu au fleuriste actuel « La Jardinerie ».

Quelques anecdotes :

Après achat, ils assuraient les livraisons. Elle se souvient que lorsque Roger Gouhier (qui n’était pas encore maire) s’est  marié, le couple habitait rue de la Gare, et Robert lui a livré un poêle à mazout.  Quelques jours après M. Gouhier est revenu au magasin pour dire que le poêle ne fonctionnait plus : il avait omis de remettre du mazout.
Une autre anecdote cette fois-ci avec Eddy Mitchell (Claude Moine pour Réjane) venu lui  acheter une cocotte : il pose la cocotte dans sa voiture décapotable et rentre dans le magasin  pour régler son achat. Quand il est ressorti la cocotte avait disparu !

« Je me souviens que Robert déroulait le grillage au milieu de la rue Henri Barbusse, devant le magasin, pour le couper. Il y avait quand même moins de circulation qu’aujourd’hui. Et si il y avait une voiture, eh bien, il attendait gentiment que Robert ait fini ».

Le bombardement :

Ils n’étaient pas à Noisy ce soir-là. Un oncle, frère de son père, travaillait à la gare de l’Est et il les avait prévenus que Noisy allait être bientôt bombardée, sans donner de date précise. « Chaque soir, on  laissait le chien et on fermait la boutique. Les autres commerçants nous  traitaient de trouillards ». (ils  allaient  dormir à Paris, rue d’Amsterdam).

Le 19 avril 1944, ils revenaient par la porte des Lilas. Place Carnot, ils arrivent juste au moment où la bombe à retardement fait sauter le cinéma le Trianon. Ils s’allongent par terre, elle, avec son manteau de fourrure sur la tête « pour se protéger », dit-elle en riant.

Le cinéma Le Trianon

En descendant la côte (Anatole  France)  ils croisaient les Noiséens qui faisaient le chemin en sens inverse. Quand certains reconnaissaient Robert Ferez, ils lui disaient « c’est ouvert ! », une façon de dire que la maison était debout. La  maison était debout mais à l’intérieur tout était par terre.

Avec Mme Genete de la Croix Rouge, elles organisent une distribution de casse-croûtes et de soupe. Elle servait la soupe « dans les bols ébréchés du magasin, mais tout le monde était  bien content ». M. Monty, le pâtissier de la rue de l’avenue Marceau, faisait les sandwichs. « On ne vendait rien, bien sûr, on donnait tout. »

Robert allait déblayer, avec P’tit Louis (Louis Badère), un chauffeur de chez Genete, « tout ce qu’il y avait à faire ».

Boulevard de la République, des hommes déblaient.

Après, il y a eu les bombes à retardement. Ils ont dû  changer toutes les vitrines et le magasin Singer, en face a fait de même. A chaque nouvelle explosion, il fallait tout recommencer. « Sandri, le vitrier, a beaucoup travaillé pendant cette période ! », ironise t-elle.
Il n’y a pas eu d’évacuations organisées de la ville, les gens partaient d’eux mêmes. La défense passive passait de maison en maison pour indiquer s’il y avait des bombes à retardement autour de chez vous et là, les gens partaient.

Hiver 1944/45, Réjane et Robert Ferez, rue Saint-Denis.

Elle possède des négatifs sur plaque de verre des photos du bombardement faites par Roger Lesueur, l’opticien de la rue Jean Jaurès. Ce sont ces photos qui sont aux Archives Municipales.

 

 

Le magasin Lesueur rue Jean Jaurès avant démolition.

 

 

Réjane conclut ce chapitre par : « On a fait…. Il fallait le faire ». Le commerce a redémarré dans les années 1950.

Le couple en 1957.

La retraite :

Réjane est restée très active et a participé à de nombreuses associations noiséennes :

  • Le Godillot Noiséen pendant 15 ans avec Henri Jacobwieski.
  • L’Amicale des Anciens Élèves de Gambetta, avec Christiane Lessage, la grande amie de Réjane. Association avec qui elle a fait des dizaines de sorties et de voyages.
  • Loisirs et Création, dont elle est toujours adhérente.
  • Elle a été la Trésorière du Club Philatélique de Noisy avec M. Lansade.

Elle a aidé, occasionnellement Mme Tironneau, la boutique de jouets boulevard de la République, pour faire des paquets au moment des Fêtes de Noël : « il n’y avait pas de concurrence, on s’entraidait ».

Sa grande affaire demeure, aujourd’hui, le Téléthon auquel elle participe depuis sa création en 1987.

Elle se souvient de la première émission télé à laquelle Henri Jacobwieski du Godillot Noiséen avait apporté des objets sur le plateau. C’était Jacques Chancel qui présentait et Jerry Lewis, venu d’Amérique pour l’occasion, était le premier parrain.

Cette année, elle va encore participer en réunissant ses amies chez elle et en organisant, comme d’habitude, une tombola dotée d’objets de sa création, au profit du Téléthon.

Elle a quatre petits-enfants, tous nés à la maternité 35 rue de Brément, et quatre arrière-petits-enfants.

Réjane le jour de ses 99 ans.

« On était heureux mais presque tout le monde est parti ! »

« J’ai fait tout ça et je suis encore là ! »

Propos recueillis par Marie Lerenard et Anne-Marie Winkopp avec le précieux secours de Gérard Septier, son gendre.

Bon anniversaire Réjane !