Armand Maucarré prit un jour la décision de quitter Barcy, petit village près de Meaux pour travailler à la ville. Il arriva à Noisy-le-Sec où il fut accueilli par la famille Gay. Monsieur Gay épicier l’embaucha ; appréciant rapidement son tempérament plein d’ardeur et son esprit entreprenant il l’associa à son entreprise.

 

La boutique Gay frères, à l’angle de la rue de la Forge et de la rue de Brément

Un fonds de commerce qui existe depuis 1770, selon une réclame visible, à l’époque,

sur le pignon d’un immeuble près de la gare.

L’épicerie Gay Frères, le personnel devant la boutique

Calendrier publicitaire de l’année 1888

Par l’intermédiaire de la famille Gay, Armand fit la connaissance de la famille Viard. Viard était serrurier, son épouse Marie Elizabeth Cochu, dont les parents habitaient rue de Brément, lui avait donné quatre enfants Edouard, Constance, Aglaé, Emile.

Armand s’éprit de Constance et l’épousa.

Constance et Armand Maucarré

Noisy était alors un gros bourg à vocation agricole en plein développement et en pleine mutation grâce à la construction du chemin de fer commencée en 1840.

Pendant les deux mandats dont fit partie Armand Maucarré en 1888 puis en 1892 en tant que conseiller municipal, on relève 11 cultivateurs, 2 employés à la Compagnie des Chemins de Fer de l’Est, 4 artisans, 2 commerçants, 1 médecin sur 23 élus. Les cultivateurs représentaient à cette époque les 9/10ème de la population. En 1889 une grande gelée destructrice (on arracha les noyers dont Noisy tire son nom) et de maigres récoltes dues à l’appauvrissement du sol poussèrent quelques familles à abandonner leurs activités agricoles et viticoles, la mutation de la population commençait au profit, en particulier, des employés de la Compagnie des Chemins de Fer de l’Est qui s’installaient en nombre important. En 1893 Noisy-le-Sec devint chef lieu de canton.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 L’épicerie de Monsieur Gay était Florissante, Armand s’y investit en reprenant l’affaire et en la développant. En 1893 il entreprit la construction d’un immeuble place Jeanne d’Arc dont l’épicerie nouvelle devait occuper le rez-de-chaussée, un étage étant réservé à différentes marchandises, en particulier de la vaisselle. D’autres commerces voisinaient avec l’épicerie, dont une pharmacie. L’épicerie employait plus d’une dizaine d’employés : commis, livreurs, caissière, comme la fidèle Mademoiselle Marie ou Mademoiselle Emilie, qui devint la seconde épouse d’Emile Viard.

 

Mademoiselle Marie, la caissière

Si Armand débordait d’activité, Constance était aussi très occupée, se souciant du personnel, elle devait aussi élever ses trois garçons Emile, Henri et Paul. Bébés ils eurent une nourrice, enfants ils allaient à l’Asile, sorte d’école maternelle proche de la maison, plus grands ils firent leurs études dans un collège à Lagny où ils étaient pensionnaires et attendaient les congés avec impatience pour retrouver la chaleur affectueuse de leurs parents et l’amitié du chien Faraud.

 

Les 3 frères

de gauche à droite, Emile, Henri et Paul

Le joli pavillon de la rue de Bétisy accueillait la famille, oncles, tantes, cousins, cousines et bien sûr les amis, tout le monde se retrouvait pour de bons repas dominicaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5 rue de Béthisy

 

 

 

 

 

 

 

vues de l’intérieur de la maison

Constance et son fils Emile

Avec quelques sorties à Paris au théâtre et au bal en particulier celui des Epiciers, quelques voyages dans le Jura à Dôle chez les cousins Seurot, en Suisse…il semble que ces grandes réunions familiales étaient de grands moments heureux et joyeux de loisirs à cette époque.

de gauche à droite

Juliette, Paul, Emilie, Emile, Gaston et Henriette Seurot, Armand, Constance et Marguerite

Scène de vaisselle en famille, dans le jardin, rue Béthisy

à gauche Constance Maucarré

Armand Maucarré, à gauche, Emile Viard, à droite

un dimanche après-midi rue Béthisy

La partie de billard

On peut reconnaître Georges Gay (deuxième à partir de la droite), maire de Noisy-le-Sec de 1908 à 1925.

Armand se demandait si ses trois fils seraient épiciers : l’ainé Emile se révéla doué pour le dessin et son désir de devenir architecte ne fut pas contrarié. Henri semblait plus disposé, Armand lui confia une boutique qu’il avait acheté rue de Bretagne à Paris. Paul s’intéressait aux sciences, il fallait attendre.

Mais cette prospérité et cette félicité devaient s’écrouler brutalement à la suite du décès d’Armand dans la force de l’âge. Constance dut vendre le commerce pour se constituer des rentes, elle alla s’installer à Saint Mandé près de son frère, abandonnant Noisy. Elle devait se passionner pour les travaux d’aiguille habillant les poupées de porcelaine de ses petites filles Germaine et Suzanne, ainsi que pour les ouvrages au crochet. Elle aimait le cinéma et y allait fréquemment avec sa bonne.

Ses deux aînés devaient lui causer des soucis, l’un avec sa santé précaire, l’autre avec son instabilité. Avec Paul elle eut le bonheur d’être grand-mère, Paul s’était établi épicier à Rosny sous Bois dans un commerce plus modeste qu’il tenait avec Hortense, son épouse, et quelques employés.

Constance les retrouvait souvent et partageait le plaisir des vacances au Crotoy lorsque venait la belle saison.

Parfois l’éclat d’un brillant lui rappelait les jours heureux qu’Armand aimait tendrement sceller d’un bijou.

 

Les Viard

Stanislas Viard était serrurier, installé « sur la place à Noisy le Sec près de Pantin ». Il avait épousé une demoiselle Cochu Emélie Elizabeth , vieille famille noiséenne, qui lui donna quatre enfants Constance, Edouard, Aglaé, Emile qui devint serrurier comme son père après avoir fait son tour de France.

Mam’ Cochu

La famille Viard, de gauche à droite

Constance, Edouard, Marie, Barthélémy, Aglaé et Emile

Emile Viard (1857-1926) en tenue de travail

Les parents de Stanislas Viard vivaient à Nantouillet, petit village avec un vieux château, proche de Dammartin en Goële. La jeune famille à l’occasion des fêtes allait à Nantouillet en char à banc, les Cochu leur prêtant le cheval. La maison là bas les attendait pimpante et c’est avec bonheur que tous se retrouvaient ensemble pour participer aux agapes et aux réjouissances après avoir écouté la messe et salué Monsieur le Curé.

 

Les Viard de Nantouillet

La grand’ maman Viard avait veillé à tout. Grâce à la correspondance qu’elle entretenait avec ses enfants : « il n’y a rien qui m’anime comme d’écrire » disait elle, nous imaginons combien ils étaient les bien venus : les « couchés » prêts, le poulet et le gibier plumés, le jardin « éserbé » fleuri, les « allées sablées et ratissées » et la bonne humeur de grand papa assurée car ses oiseaux pépiaient dans la volière et ses « mouches » butinaient allègrement dans la lumière de l’été.

Oncle et tante Alexandre

Oncle Bardou, inventeur

Plus tard il arriva que la famille se rendit à Nantouillet en chemin de fer et la jeune Jeanne, fille d’Aglaé, décrira son voyage de retour à son grand papa dans une lettre pleine de vivacité et d’émotion.

Voyageant seule avec sa mère elle y avoue leur poltronnerie, leur frayeur dans ce train qui filait au milieu d’étincelles « extrêmement rouges énormes » dans un bruit infernal ; « Je vous assure, disait elle, on se sentait enlevé, c’est incroyable, on aurait cru par instant que le train avait des ailes et qu’il ne roulait plus sur ses rails. » Avant d’embrasser son cher grand père, Jeanne lui dira combien elle fut heureuse d’être revenue saine et sauve à Noisy.

 

Les fils Maucarré

Tout allait bien, trois fils qui auraient pu perpétuer l’entreprise de leur père, mais il en fut tout autrement.

Emile d’abord qui dessinait dans tous les coins, entra aux Beaux Arts en classe d’Architecture où il obtint son diplôme. Malheureusement atteint de tuberculose, il s’installa en Algérie pour la douceur du climat, nommé Architecte du gouvernement général et affecté au service des constructions scolaires, ses bureaux étaient chargés de l’entretien de quarante six écoles et de divers chantiers.

On peut voir cette plaque sur une de ses réalisations, un pavillon, 26 rue de Chalons à Noisy-le-Sec.

Henri prit le grand tablier de l’épicier d’abord à Noisy puis à Paris rue de Bretagne où il tint une succursale mais fantasque et instable il abandonna l’épicerie ; marié quelques mois il demeura célibataire, se lançant dans de multiples entreprises au gré de sa fantaisie : élevage de poulets à l’Isle Adam, transport en taxi, hôtellerie rue de Provence à Paris, il sut profiter de la faiblesse de sa mère à son égard au grand dam de ses frères qui craignaient de la voir dilapider ses revenus.

Paul, dont les goûts allaient vers les sciences, la radio, la photographie, devint épicier sans passion, la mort du père trop tôt survenue avait de toutes façons tout bouleversé, il avait fallu vendre, quitter Noisy.

Paul acquit un commerce à Rosny sous Bois, pays de cultures maraîchères et de vergers, voisin de Noisy.

La boutique, bien située près de l’église Sainte Geneviève au centre de la petite ville, attire vite les pratiques qui trouvaient là une grande variété de produits : beurre, œufs, fromages, charcuterie, café, vins fins, liqueurs, chocolats, dragées, confitures, légumes secs et même des produits de parfumerie, d’entretiens tels que balais, huile, pétrole et manchon à gaz, sans oublier du matériel d’artificier pour illuminer le 14 juillet.

Le nouvel épicier était célibataire et dans la maison voisine vivait une jeune et douce orpheline de 17 ans répondant au prénom d’Hortense. Bientôt les jeunes gens s’intéressèrent l’un à l’autre et l’amour fleurit. C’est alors que la grande sœur d’Hortense, Maria, pensa qu’il n’était pas convenable que deux jeunes gens amoureux vivent si près l’un de l’autre sans parent pour chaperon ; elle pressa alors le mariage qui eut lieu trois semaines après les fiançailles, un 1er Avril, sous un voile de flocons de neige ; neuf mois plus tard une petite fille : Marthe, vint au monde, suivie quelques temps après par une autre petite fille : Germaine.

Le commerce allait bon train, Paul actif, sérieux, minutieux, attentif aux besoins de la clientèle et Hortense aimable et généreuse, étaient secondés par une bonne équipe d’employés composée de deux commis en pied, d’un apprenti, d’un caviste et d’une jeune femme qui s’occupait du ménage et des enfants ; tous partageaient la vie familiale et logeaient dans une maison voisine. Un service de livraison était assuré, en triporteur ou en char à banc pour les marchandises lourdes et encombrantes ; c’est Maria qui pour l’occasion prêtait sa carriole et son mulet Bijou.

L’épicerie était ouverte tous les jours de 7 heures à 20h30, le dimanche c’est la famille qui venait remplacer le personnel : l’oncle Marchal, les cousins, les cousines, l’ambiance était conviviale et chaleureuse.

La tante Adèle et son mari Marchal

 

Rosny-sous-Bois 1910

 

Un douloureux événement vint malheureusement troubler cette félicité, la petite Marthe tomba malade, une mauvaise rougeole, une rougeole « rentrée », alors que les petits jouets étaient déjà choisis, elle mourut la veille de Noël et l’on coucha sa poupée auprès d’elle. On craignit beaucoup pour Hortense qui sombra dans une grande et longue mélancolie et qui ne se remit de ce grand chagrin qu’à la naissance d’une nouvelle petite fille que l’on prénomma Suzanne.

En 1923 Paul et Hortense ayant besoin d’un peu de repos, cédèrent leur commerce et s’installèrent dans un pavillon. Paul avait pris une charge de releveur à la Banque de France. Les revenus de la famille paraissant insuffisant au bout de quelques temps, Paul et Hortense envisagèrent de reprendre un commerce plus modeste, une occasion se présenta à Gagny et la décision fut vite prise ; la famille y transporta ses pénates, et après quelques regrets et problèmes d’adaptation concernant surtout les jeunes filles qu’étaient devenues Germaine et Suzanne, s’y trouva fort bien.

 

Bernadette, Françoise et Jean-Paul Daquinl, filles et fils  de Suzanne Maucarré née de l’union d’Hortense et Paul Maucarré.

 

propos recueillis par Anne-Marie Winkopp