Mon grand-père, Paul Simon, était en fait prénommé Adolphe, prénom qu’il avait abandonné en 1940 pour des raisons évidentes … Adolphe Paul Jean-Baptiste est le fils de Marie-Charles Alzire Simon (descendant d’une très longue lignée lorraine, que mon père a pu remonter jusqu’à notre ancêtre Gabriel Simon, né en 1689, fils de François), et de Francine Lechêne.

Né le 11 février 1898 à Marles (Seine-et-Marne, à côté de Rozay-sur-Brie), il épousa à Noisy-le-Sec en 1919 Suzanne Mitel («Mémé » pour nous, qui elle appelait son époux : « Mon pauvre loup ») ­— qui elle-même avait vu son premier fiancé fauché mortellement par la mitraille au cours des combats en 1914. Ils eurent cinq enfants : Jean-Marie, Annette, Pierre, Yves et Monique.

Ses parents, n’ayant que peu de moyens, avaient destiné leur fils à rejoindre le petit séminaire (comme le fera plus tard son petit frère Maurice, alors âgé de 12 ans, qui lui deviendra prêtre). Ce projet n’était vraiment pas dans l’optique d’Adolphe ! C’est pourquoi celui-ci s’échappa du séminaire et s’engagea à la mairie de Lagny comme « volontaire pour la guerre » le 26 février 1915 pour « la durée de la guerre ». Il est alors incorporé au 14 ème bataillon de chasseurs alpins, tout juste deux semaines après l’anniversaire de ses 17 ans :

Livret militaire 1915 de Papaul (« yeux bleus, cheveux châtain clair, taille 1,68 m, front vertical, nez cave, visage plein »):

Engagé immédiatement sur le front en dépit de son jeune âge, il suit bientôt le cours d’instruction des mitrailleuses au centre de Valbonne du 23 mai au 11 juin. Il y obtient la mention « apte aux fonctions de télémétreur ». Ayant rapidement rejoint le front, il est blessé une première fois un mois plus tard, le 11 juillet 1915 (fracture de la malléole externe jambe gauche), et sera soigné à l’hôpital-dépôt de Aigle-Grenoble. Une fois rétabli, il participe aux sanglants combats du « Linge », près de Colmar, là où, en dix semaines de combat à l’attaque des fortins de fer et de béton édifiés par l’armée allemande, 10 000 chasseurs alpins et à pied français laisseront leur vie.

En 1916, son unité se bat à Verdun à la Côte-du-Poivre. Le village, perdu par les troupes françaises le 24 février, sera repris le 15 décembre. Il disparaîtra totalement sous la pluie des bombes et sera l’un des neuf villages français détruits durant la guerre et qui ne seront jamais reconstruits. En avril, le second bataillon s’y établit avec 175 hommes. Cinq jours après, seuls 34 en repartiront.

Papaul est cité à l’ordre du 14 ème B.C.A. – bataillon de chasseurs alpins – (Ordre n° 156 du 29/08/1916) par son commandant :

« Engagé volontaire, excellent chasseur malgré son jeune âge, a accompli comme agent de liaison, sans aucune défaillance, les missions pénibles et dangereuses qui lui étaient confiées. »

Le jeune homme est ainsi nommé caporal, à l’âge de 18 ans.

Le chef de bataillon commandant le 14 ème B.C.A. (Ordre n° 216 bis du 06/11/1916) cite de nouveau Papaul deux mois plus tard :

« Très bon chasseur, agent de liaison auprès du chef de corps, au cours de l’attaque du 29 septembre, a transmis les ordres à son commandant de Compagnie sous de violents tirs de barrage « . Il sera de nouveau blessé, par éclats d’obus, le 8 juin 1918 à Chigny (Aisne) et transféré à l’arrière, à l’hôpital d’Angoulême, avant de revenir au front.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après consolidation, suivie d’une permission de 20 jours, il rejoint son unité. Ces différentes blessures, auxquelles s’ajouteront celles reçues ultérieurement en 1940, lui vaudront plus tard une incapacité physique à 80 %.

Il est de nouveau cité à l’ordre de la 1ère Armée (Ordre n°170 du 14/11/1918) :

« Jeune chef de pièce d’une énergie et d’un courage exemplaires. Le 3 octobre son chef de section étant Il est blessé, a pris en plein combat le commandement de sa section, est resté avec une de ses pièces en petit poste, interdisant par son tir l’infiltration de l’ennemi par un boyau. Pendant une contre attaque ennemie à la grenade, sa pièce étant encerclée complètement, s’est précipité sur l’ennemi à coups de grenade, et sa mitrailleuse dégagée a repris le feu avec un sang-froid merveilleux« .

Pour son courage et ces divers faits d’arme, Papaul sera décoré de la Médaille Militaire, de la Croix du Combattant volontaire, de la Croix de Chevalier de la Légion d’honneur. Il lui sera remis également une distinction militaire italienne.

 

Après la guerre, il sera actif dans le mouvement des anciens combattants à Noisy-le-Sec — ville où il réside désormais depuis la fin du conflit, au 85 du boulevard Michelet — en en étant notamment le trésorier pendant quatorze ans, jusqu’en 1939. On le voit (de loin !) sur la photo suivante prise en 1925, à l’occasion de l’inauguration de monuments dédié aux soldats de la guerre 14-18, dont personne à l’époque ne pouvait imaginer qu’elle en serait suivie par une seconde :

Mais le peuple français et ses citoyens n’étaient pas au bout de leurs peines ! Lors de la déclaration de la guerre en 1939, Papaul (le prénom Adolphe est désormais volontairement oublié) fait partie des réservistes. Entré à la SNCF en 1919, il est mobilisé à Etampes en 1939. Le 14 juin 1940, il est victime du bombardement de la gare, et reçoit trois blessures occasionnées par les éclats de trois bombes successives, qui lui laisseront une incapacité partielle et des douleurs qui ne le quitteront pas jusqu’à la fin de sa vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sa famille découvrira ultérieurement – et notamment le fils aîné Jean-Marie qui avait lui, après moult péripéties, rejoint les Forces Françaises Libres de la Deuxième DB de Leclerc – son activité de renseignement pour la résistance au cours de l’occupation et des risques qu’il avait pris, en dépit du fait qu’il était père de cinq enfants , dont l’âge s’étageait entre vingt ans pour l’aîné (Jean-Marie) et un an pour la plus jeune (Monique). Annette, Pierre et Yves  s’intercalant   entre les deux.

Papaul servira ainsi, pendant l’occupation, comme agent de renseignement du Réseau Eleuthère des Forces Françaises Combattantes. Ce réseau de renseignement militaire très efficace (contre-espionnage), rattaché à Libération Nord, avait pour principaux objectifs d’identifier l’ordre de bataille, les effectifs et les déplacements de l’armée allemande — pour les transmettre aux alliés — ainsi que ceux des dirigeants nazis. Même Rommel et Göring feront ainsi l’objet de filatures par ce réseau.

« Le chef du Réseau Eleuthère certifie que Monsieur Simon Paul – sous-chef de Bureau Comptabilité SNCF, région Est, Service Matériel et Traction – l’a fortement aidé dans son travail de recherches et de transmission de renseignement sous l’occupation allemande. Il a ainsi par son action personnelle et malgré le danger, rendu les plus grands services à la cause de la résistance ».

Signé, le Chef du réseau ELEUTHERE

Diplôme de citation conféré à M. Simon Paul en raison de sa belle conduite. « A aidé activement son chef de réseau des Forces Françaises Combattantes dans son travail de recherches et de transmission de renseignements sous l’occupation allemande. A ainsi, par son action personnelle et malgré le danger, rendu les plus grands services à la cause de la Résistance »..

Paris, le 14 novembre 1945, le directeur SNCF.

Ce réseau Eleuthère, qui cible particulièrement les services de renseignement de la Gestapo, est l’objet de la part de cette dernière d’une répression sanglante qui décapitera ses principaux chefs, dont le général Frère, mort au camp de concentration du Struthof, cousin de proches amis de notre famille, Raymond et Alice, que les plus anciens d’entre nous ont bien connus. De par sa fonction aux chemins de fer, Papaul contribuera à la transmission des informations relatives au positionnement et au déplacement des unités allemandes, dont beaucoup transitaient par la gare de Noisy. Le Réseau permettra notamment l’identification, puis la destruction le 4 mai 1944 par bombardement, des dizaines de rames sur wagons de la redoutable 9e division blindée SS Hohenstauffen (des milliers de tués ou mis hors de combat, 400 chars détruits ou incendiés). Ce bombardement, décisif, au prix de 35 avions abattus, empêchera l’arrivée de ces renforts vers les lieux du débarquement en Normandie. Le sacrifice des membres du Réseau Eleuthère sera très lourd : sur 419 membres, 8 ont été fusillés, 20 assassinés, 6 sont disparus, 62 ont été déportés, et beaucoup ont été torturés pat les nazis.

Papaul sera également une nouvelle fois récipiendaire de la Croix de Combattant Volontaire (et cette fois, au titre de la Seconde Guerre Mondiale), et recevra l’insigne Honneur et Patrie, attribué à un « soldat sans uniforme ayant participé, en territoire occupé par l’ennemi, au glorieux combat pour la libération de la Patrie.».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Croix de Combattant Volontaire 14-18  … et 39-45 :

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour terminer, je dirai … un merveilleux grand-père ! J’ai beaucoup de souvenirs d’enfance précis de lui, notamment lorsqu’il m’emmenait, tout petit, visiter Paris et qu’il se moquait gentiment de moi car j’avais peur du bruit que faisaient à l’époque les pistons des portes du métro se refermant, ou encore lorsqu’il m’avait appris à conduire sa 2 cv, lorsque j’avais 17 ans, sur les petites routes du Nivernais. Je me souviens aussi que Papaul détestait le melon, mais, comme c’est lui qui faisait les courses, il arrivait toujours à en choisir pour son épouse un « extra », comme disait Mémé.

 

 

La famille Simon a habité au 85 du boulevard Michelet, à Noisy durant 62 ans, depuis 1919 jusqu’au décès de Papaul. en 1981. Le couple logeait dans l’appartement (les deux fenêtres au deuxième étage, à droite sur la photo), avec Monique jusqu’à son mariage, en 1962. L’appartement en face était occupé par Albertine (« la vieille Mémé », décédée en 1958, la mère de Suzanne, qui elle enseignait à l ‘école Gambetta), avec les garçons et Annette. Dans les souvenirs de Monique, Pierre et Yves s’y disputaient souvent … Il n’y avait à l’époque ni téléphone ni interphone, et donc, lorsqu’on allait les visiter le soir (à l’époque le boulevard était bordé de marronniers), on essayait de viser leurs fenêtres en y lançant des marrons pour qu’ils descendent nous ouvrir.

 

Ci-contre, Papaul

et Mémé (Suzanne) à La Chaume (Nièvre) en 1969

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Papaul est décédé le 11 novembre (!) 1981, à l’âge de 83 ans. Il est inhumé, entouré de sa famille, au cimetière ancien de Noisy-le-Sec.

 

Jean-Luc Simon, petit- fils de Papaul