Comment rejoindre la Résistance ?

J’habitais toujours Noisy-le-Sec, chez mes parents. À la suite de la débâcle, et après notre retour de la zone libre, où nous avions trouvé refuge auprès de notre famille nivernaise, il a bien fallu trouver une occupation : je suis devenu cadre dans un centre de jeunesse. Ce n’était pas des chantiers de jeunesse mais des centres d’apprentissage et de formation pour les jeunes, en un mot « formation professionnelle ». Bien sûr, ce centre était sous contrôle gouvernemental et on chantait « Maréchal, nous voilà ! »…

Je n’étais toujours pas d’accord, je me disais : « Notre pays doit se relever, il faut combattre ». Hélas, je ne voyais pas de résistance dans mon environnement et pourtant je pensais : « il faut partir ». J’envisageais de rejoindre un maquis dans la Nièvre… Mais où était il ? À cette époque, en 42, il n’y avait rien d’inscrit ni dans les journaux, ni dans les gendarmeries. « Engagez-vous dans les troupes coloniales » n’avait pas été remplacé par « Engagez-vous dans la résistance ».




De Gaulle- Pétain (source : periblog)




Quand la zone dite « libre » a été occupée le 11 novembre 1942, c’est à ce moment-là que j’ai pris ma décision. J’ai pensé que le maréchal Pétain qui avait dit : « J’ai fait don de ma personne à la France » aurait dû se rendre prisonnier des Allemands. Il  y avait surtout un général à Londres que j’entendais à la radio, il disait : « Rejoins-moi ! » C’était le général De Gaulle mais comment le rejoindre?




Bien que je m’appelle Jean-Marie, je n’avais pas tellement d’attaches bretonnes, aussi il me fallait trouver un autre système pour rejoindre de Gaulle. J’ai contacté un de mes cousins.Il était dans la Résistance à Puyoo, je suis allé le voir, et il m’a dit : « Il faut passer par l’Espagne, je connais une filière de résistants ».

Tentatives de passages vers lʼEspagne

Effectivement, le 23 novembre 42, je suis passé de nuit entre Hendaye et Irun dans la Bidassoa à gué. Je suis arrivé en Espagne. C’était un chemin difficile. Il y avait à traverser les lignes allemandes, le fleuve et les lignes espagnoles. De plus, les Allemands avaient dépeuplé la zone interdite pour mieux contrôler ce qui passait . Je me suis déguisé en pêcheur basque, comme je suis brun, cela passait. J’ai réussi à traverser la zone interdite.

Une fois en Espagne, j’ai pensé que les chemins les plus courts étaient les meilleurs, et, j’ai pris un taxi pour San-Sébastian. Je me suis présenté au consulat anglais, et je leur ai dit que je voulais m’engager dans la France Libre. Ils étaient méfiants, car il devait y avoir des provocateurs. Enfin, on m’a quand même donné cinquante pesetas. Il fallait que je me renseigne, je parlais un peu l’espagnol. Caché dans un couvent de Capucins à San-Sébastian, j’ai fait la connaissance d’un dentiste français qui était en Espagne et m’a donné certaines adresses intéressantes.

J’ai continué mon chemin, j’ai pris le petit train côtier contrôlé par les « Guardias Civiles » et je suis arrivée à Bilbao. Là, je suis allé de nouveau chez le consul anglais qui m’a donné encore cinquante pesetas. J’ai vu aussi le consul américain qui m’a aussi donné un peu d’argent, il marchait surtout au whisky. Je faisais une crise de furonculose et je me rendais compte que mes chances de rejoindre Gibraltar étaient minces : en effet, la Guardia Civile était partout, la police espagnole était très efficace (ceux qui se sont évadés d’Allemagne et qui ont été arrêtés en Espagne ne me contrediront pas). En conséquence, je décidais de retourner vers la France.




De Hendaye à Irun entre France et Espagne (source : google maps)




Je repris le train, toujours sur le marchepied, entre deux wagons. Il y faisait froid mais je m’en suis bien tiré… Je suis d’abord revenu à San-Sébastian, puis à Irun où j’ai recontacté le passeur espagnol pour rentrer en France. Par une nuit de brouillard très froid et humide, nous avons traversé la Bidassoa mais cette fois-ci en bateau, tout près du pont international occupé par les Allemands. J’ai accédé, pour rejoindre la gare, à la cour d’une ferme. Il y avait de la lumière, le chien aboyait, j’étais chez un particulier. Je traversais sa propriété, arrivais sur la route et pris la direction de la gare. Il faisait nuit, je me suis glissé dans un train, un omnibus pour Bayonne. À partir de là, il m’était facile de remonter vers Paris et à Noisy- le-Sec. Cela faisait cinq jours que j’avais entamé mon périple. Je crois être le détenteur du record de vitesse pour le trajet Paris-Bilbao en temps de guerre…

Quelques jours plus tard, je suis reparti, j’ai fait le même circuit Paris-Bayonne-Hendaye-Irun mais là, j’ai constaté qu’il y avait davantage de troupes allemandes. Hitler avait eu plusieurs fois la tentation d’aller à Gibraltar puis il y avait renoncé, peut être s’agissait-il de manœuvres ?
Je décidais alors de tenter ma chance et je reconstituais de mémoire le parcours que j’avais fait de nuit avec le passeur. Malheureusement, j’ai alerté une patrouille allemande qui m’a tiré dessus alors que je traversais la Bidassoa à la nage…

Hélas, à mon arrivée sur l’autre rive, les Espagnols m’attendaient. J’étais prisonnier. C’était le 11 décembre 1942. L’officier espagnol vit que j’étais gelé et m’offrit un verre de vin, c’était fort sympathique. Bien sûr, après, je me suis retrouvé en prison, c’était l’Hôtel de ville d’Irun, très belle demeure avec des murs moyenâgeux et fort épais. J’ai trouvé dix Français qui avaient été appréhendés dans la montagne alors qu’ils tentaient leur chance de passer. C’est dans ces conditions que l’on voit ceux qui veulent continuer.

Nous voulions nous évader. L’un des Français qui s’appelait Barbé (que j’ai essayé de contacter récemment et qui, je crois, vit en Suisse) a bien voulu nous aider en faisant le mourant.
Je faisais le guet, pendant ce temps, le camarade Coruble, que je n’ai jamais revu, dévissait trois vis de la porte… par malchance, une quatrième vis était coincée, le bruit a alerté le garde qui a promis la fusillade pour tout le monde … Heureusement, l’affaire s’est arrêtée là, au cachot.

(à suivre)

Mémoires d’un Noiséen pendant la guerre (1ère partie)