« La construction de notre lotissement a été décidée en mars 1924 au lieudit « Les Monteux ». Les acquéreurs des terrains étaient groupés sous le nom de la « Société Coopérative Noiséenne d’Habitation à Bon Marché » (1) et aidés par la Loi « Loucheur ». Le président du Conseil d’administration était M. Gay, le siège social de la société se trouvait à Noisy-le-Sec, 10 rue du Goulet (actuellement rue Anatole France). Les entrepreneurs se nommaient MM. Nicolas et Genète, l’architecte M. Espaullard. Le notaire était Me Corpechot au 10 rue Carnot à Noisy (l’étude existe toujours).


plan du lieu-dit les Monteux au début du 20ème siècle


Les terrains, sur lesquels notre lotissement a été construit, étaient des champs (en particulier champ de rhubarbes) et les « croquants » de Noisy ne voyaient pas d’un bon œil l’implantation de nos futures maisons. Mon grand-père Charles D., qui était trésorier de la Société, a fait des démarches auprès des propriétaires (en particulier Mme F. à Bagnolet) pour racheter, pour lui et ses voisins, des parcelles de terrain afin d’agrandir les jardins ; c’est pourquoi les jardins du côté pair de la rue Lavoisier sont plus grands que ceux du côté impair et que ceux de la rue Pierre Curie. Certains propriétaires n’ont pas voulu racheter de parcelles et ont un jardin moins étendu.





1928 la maison côté jardin, moi, Jacques B. et Simone N.





Il avait été prévu deux types de maisons : maisons de 5 pièces avec 1 étage et maisons de 3 pièces de plain pied (depuis elles ont été presque toutes agrandies par les propriétaires successifs). Les garages ont été construits petit à petit car, à l’époque il n’y avait que deux propriétaires qui possédaient une voiture : M et Mme C. au 16 et M et Mme H. au 19, une camionnette pour leur travail (chauffagistes).

Les prévisions :

–       maison de 5 pièces = 31 100 frs, cave en plus :  2 400 frs, grenier en plus : 700 frs

–       maison de 3 pièces avec grenier = 24 000 frs, cave en plus = 2 400 frs.

A cela s’ajoutaient des suppléments pour les égouts, les soupiraux, les branchements d’eau, gaz, électricité, assurance, planchers en chêne au lieu de sapin, etc.

L’entreprise générale était l’ancienne maison Trignol (fondée en 1852 !) dont le successeur s’appelait M. Victor Baroux.

Les noms de nos rues (Lavoisier et Pierre Curie) ont été donnés ainsi car elles aboutissaient à la rue  Pasteur : « il y aurait lieu, par analogie, de proposer des noms de savants tels que Pierre Curie, Lavoisier, Cuvier, etc. », proposition de M. Gay (16/3/1925), président du Conseil d’Administration.

La rue Lavoisier était une impasse : elle s’arrêtait au 30 du côté pair et au 27 du côté impair ; au bout de la rue il y avait un simple grillage derrière lequel s’étendaient des jardins ouvriers mais, le long du 27 rue Lavoisier et du 24 rue Pierre Curie, avait été aménagée une petite sente que nous appelions « le petit chemin » qui permettait aux riverains de la rue Lavoisier d’accéder à la rue Pierre Curie. Celle-ci aboutissait à un chemin de terre, le chemin des Hauts Monteux, par lequel on accédait à l’allée de la Paix et au boulevard de la République ; mais les croquants, propriétaires des jardins et des champs n’admettaient pas, malgré les autorisations préalables, qu’on emprunte « leur chemin ». Un jour, ils avaient refoulé mon arrière grand-mère qui venait voir ses enfants et ils l’avaient obligé à passer par le boulevard de la République et la rue Pasteur !





1958 devant la maison, Agnès D. et mon frère





La rue Pierre Curie était délimitée du chemin des Hauts Monteux, qui la prolongeait , par une petite barrière où se donnaient rendez-vous les gosses des deux rues : on allait jouer « à la barrière ». La rue Pierre Curie n’a été construite par la société CHBM que du côté des numéros pairs. Du côté impair, il y avait deux maisons, qui existent toujours mais dont l’entrée était allée de la Concorde. Le reste c’était des jardins derrière les maisons du boulevard de la République.

Par la suite, je crois pendant la guerre 39-45, la rue Pierre Curie a été prolongée. Mais ce n’est qu’après la guerre  que la rue Lavoisier a été débouchée et qu’ont été construits les petits immeubles des 32 et 34 puis les rues Jean Moulin, Bir-Hakeim, Antoine de Saint-Exupéry, etc. Le petit chemin a été attribué aux propriétaires du 27 rue Lavoisier et du 24 rue Pierre Curie. Derrière les maisons, côté pair de la rue Lavoisier, jusqu’aux lignes de chemin de fer c’était des champs qu’on labourait avec cheval et charrue pour le grand plaisir de mon frère qui rêvait d’être cultivateur ; puis les terrains ont servi de « jardins ouvriers ». Le dimanche on voyait des familles qui venaient « au jardin ». Sur ces jardins étaient construites de petites cabanes en bois servant d’abri et de rangement d’outils aux jardiniers.

Après la guerre 39-45, on a construit les HLM qui y sont toujours.

Les constructions de notre lotissement ont été commencées par le côté pair de la rue Lavoisier, puis le côté impair et en  fin le côté pair de la rue Pierre Curie.

Ma famille :

Mon grand-père avait fait faire une cuisine au 1er étage de sa maison pour loger provisoirement, croyait-il, mes parents qui venaient de se marier en juillet 1925 ; mais mon grand-père est décédé en février 26 et mes parents sont restés pour aider ma grand-mère (elle m’a élevée ainsi que mon frère car maman travaillait au chemin de fer de l’Est).

Ma grand-mère n’avait pas de pension ; elle avait deux fils dont un n’avait que 12 ans et demi à la mort de son père. Mes parents ont été dans les premiers habitants de la rue  et j’ai été, ainsi la première naissance de la rue en mai 1926. Je suis très attachée à ma maison car j’ai le souvenir de ceux qui y ont vécu : mon arrière grand-mère que ma grand-mère a accueilli après la mort de son mari, mes oncles, mes parents, mon frère et une petite fille de mon âge que ma grand-mère a élevée en même temps que moi et qui, malheureusement, est morte alors qu’elle n’avait pas 20 ans. Mon frère, cultivateur, est parti très jeune de la maison pour le département de l’Essonne où il est implanté avec  toute sa famille. Mon grand-père était clerc de notaire et mon père électricien au chemin de fer de ceinture, puis au chemin de fer du Nord. »

NDLR : Texte écrit en 2004.



1928 ma grand-mère devant la maison









1928 avec ma grand-mère et mes deux amies Simone N. et Simone H.




















1959, rue Lavoisier, mon frère et sa famille




(1) – « entre 1925 et 1940 cette société à construit 80 pavillons rassemblés dans quelques rues, comme le lotissement Pasteur, ou disséminées dans toute la ville », Fenêtre sur toit, petite histoire des pavillons de Noisy-le-Sec 1840-1940.