C’est Nicolas Tripier, avocat et maire de Noisy-le-Sec de 1819 à 1829 qui, s’étant porté acquéreur de la ferme et des terrains du Londeau, fit construire la demeure bourgeoise, devenue plus tard Carmel, qui ne fut démolie qu’à partir de 1964.  «  En 1850, ses héritiers morcèlent les parcelles et les vendent aux enchères. Seules les terres attenantes à la propriété, le jardin d’agrément et le potager sont conservés ». Nous savons que durant la guerre de 1870, le domaine était la propriété d’un marchand de grains parisien, « Morin ainé, Grains et Issues, 157 rue d’Allemagne à Paris ». Nous pouvons trouver aux archives municipales, une lettre de cette société adressée au maire de la ville le 3 mars 1872 réclamant le droit aux dommages de guerre.

En 1913, les Jésuites de l’Action populaire achètent la propriété pour y créer un monastère. Le mouvement, créé le 15 aout 1903 à Bruxelles par le Père Leroy, de la Compagnie de Jésus eut comme principal animateur le père Desbuquois. En 1904, l’association s’installe en France, à Reims, puis après l’incendie de 1914, à Paris rue St Didier. Au début des années 1910, désirant fonder un monastère et cherchant des locaux plus grands, ils achetèrent la propriété dite « Château du Londeau » à Noisy-le-Sec.

Les Jésuites créèrent un mouvement social d’action catholique « l’Action populaire » en 1903, mouvement plutôt conservateur, mais favorable aux réformes sociales et aux syndicats ouvriers dans la pensée d’Albert de Mun. Le Père Gustave Desbuquois, né à Roubaix en 1869 et décédé à Clamart le 22 janvier 1959 en fut le directeur de 1905 à 1946. C’est à ce titre qu’il vint à Noisy entre 1920 et 1923 dans le bâtiment de l’ordre. Il eut l’occasion de desservir la paroisse St Etienne, la seule à Noisy à l’époque, ainsi que la chapelle Saint Jean-Baptiste qui en dépendait alors.

 

 

LE CARMEL

L’ordre du Carmel, ordre religieux contemplatif, comprend des hommes (les Carmes) et des femmes (les Carmélites). Le nom vient du Mont Carmel, en Palestine, où il fut fondé au 11ème siècle. Il suit la règle de St Albert, plus ou moins adaptée suivant les époques.

Le mouvement des Carmélites, dérivé des béguinages des Pays-Bas, essaime en Europe à la fin du Moyen-Age. Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) en est la grande figure à l’époque, Sainte Thérèse de Lisieux ou de l’Enfant-Jésus (1873-1907) aujourd’hui.

Le carmel en 1964.

1923 : les Carmélites de l’Ordre du Saint Esprit, venues de Belgique, achètent le domaine pour implanter leur ordre en France et remplacent les Jésuites de l’Action populaire. Elles y resteront jusqu’en 1964, soit 40 ans. Leur vie quotidienne était organisée suivant les principes de l’ordre : prière silencieuse (oraison), lecture spirituelle, prière liturgique, silence, solitude et vie fraternelle en petites communautés, travail. A l’origine toutes les sœurs sont entièrement cloitrées, sauf la sœur tourière qui assure l’accueil et s’occupe des achats nécessaires à la vie matérielle. Les familles, une fois par an, le personnel médical (médecin, dentiste…) et les prêtres étaient autorisés à rentrer. Toutefois, les sœurs sortaient du couvent pour se rendre au bureau de vote et accomplir leur devoir électoral. Plus tard, elles furent autorisées à se rendre à un rendez-vous médical chez le praticien.

Voici maintenant un témoignage très intéressant : les religieuses du Carmel de Domont, qui a remplacé celui de Noisy, gardent le souvenir du temps passé ici. Quelques extraits de leur Journal, en particulier celui d’une sœur qui a connu l’installation à Noisy en 1923 :

« 1922 ; La maison convoitée est encore occupée par les Jésuites. Après s’y être installés, ils voulaient l’abandonner à cause de l’éloignement du seul moyen de communication alors existant : le train. Grande maison en pleine campagne, à ce moment-là, assez proche du petit bourg pour faciliter l’approvisionnement et assez éloignés pour n’en être pas troublés. 1923 ; 28 février, le déménagement. Dans la journée, nous prenons possession de notre nouvelle demeure. Nous nous sentons au large un peu partout…La grande chapelle nous ravit, c’est une vraie chapelle où le 10 mars se dira notre première messe. Le parc fait nos délices avec ses grands arbres, ses pelouses et ses sous-bois où commencent à poindre des violettes…Le verger nous promet les plus belles espérances et il tiendra parole. »

Au début de la deuxième guerre mondiale, les Carmélites connaissent, comme beaucoup de Noiséens, une période de désarroi. Voici le récit que fait  Hector Espaullard dans le tome 2 de son ouvrage, non publié : « Les Noiséens dépourvus de véhicules qui tentèrent à la fin de gagner Paris à pied, espérant trouver place dans quelque train d’évacuation, s’en revinrent déçus. Ainsi firent les religieuses du Carmel. Exténuées à leur retour, elles échouèrent à la mairie. M. Leblond les firent reconduire à Londeau. A la porte du couvent fut apposée une affiche en langue étrangère pa l’abbé Dehlinger, interprète bénévole, demandant aux allemands de respecter le lieu « de stricte observance » . Fut-ce l’effet de l’affiche aucun allemand ne pénétra dans le Londeau de toute la guerre. »

Ainsi s’écouleront près de 40 années, mais au fur et à mesure, les charmes du Londeau peuvent devenir des gênes : les cellules grandes et froides, le manque de place pour développer les activités des Carmélites. En effet, après avoir longtemps exécuté à la main les images pieuses que l’on glisse dans le missel, elles avaient monté une petite imprimerie. Même le jardin posait problème, ses dimensions nécessitant une main-d’œuvre onéreuse. Enfin, l’OCIL commençait à racheter terrains et propriétés pour y élever les tours du Londeau ».

Quelques images de communion réalisées au Carmel de Noisy-le-Sec.

En 1964, les derniers membres de la communauté quittent le Carmel de Noisy : il se déplacera à Domont dans le Val d’Oise (lui aussi fermé très récemment). Les sœurs partirent en échange de la promesse qu’une chapelle s’élèverait au cœur de la nouvelle cité du Londeau. Elle fut édifiée à partir de 1971 par l’architecte Proux et prit le nom de « Chapelle du St Esprit » en souvenir de la communauté des Carmélites. L’ancien bâtiment du Carmel, vétuste et dont la restauration un temps envisagée se révèlera trop couteuse, fut démoli à partir de 1964.

 

Sources : « Noisy-le-Sec, village heureux, ville martyre» de Hector Espaullard – Archives de la ville de Noisy – Documents du CERAS, pour la partie sur les Jésuites de l’Action populaire – Documents de Noisy-Histoire(s) – Souvenirs des sœurs de Domont – Noisy-le-Sec et son patrimoine caché (Mairie de Noisy)- Histoire de l’Eglise St Jean-Baptiste (J.Bergé)

 

Paule et Jean Bergé