L’histoire des abreuvoirs noiséens est intimement liée à celle du cheval. Selon Hector Espaullard, historiographe de notre commune, au 18ème siècle on employait surtout des ânes. Ceux-ci étaient munis de cacolets spéciaux (il s’agit de paniers fixés sur une armature adaptée au dos de l’animal porteur). Ces animaux circulaient aisément dans les sentiers ou les étroits chemins du vignoble noiséen.
Les chevaux attelés aux voitures servaient plus spécialement dans la plaine à la culture des céréales mais également au transport des personnes.
La modernisation de l’agriculture, tout au long du 19e siècle, rend le cheval indispensable pour la récolte, la transformation des produits.
Il en a été de même dans les villes, avec le développement spectaculaire de la traction hippomobile durant la seconde moitié du siècle.
En 1849, d’après une déclaration de la municipalité, on comptait à Noisy plus de 400 voitures et un nombre à peu près double de chevaux et de bêtes de trait presque tous employés à l’agriculture. L’attelage le plus fréquemment usité alors comprenait un cheval et un âne. En 1874 on comptait encore plus de 400 chevaux mais en 1900, malgré le développement de la localité, on en trouve plus que 383 et seulement 304 voitures ; la moitié à peine de ces animaux et de ces véhicules est utilisée pour l’agriculture.
Le rôle de l’abreuvoir :
L’eau représente 60% du poids du cheval, soit 300 l pour un animal de 500 kg. Le cheval peut survivre plusieurs semaines sans manger mais quelques jours sans boire peuvent lui être fatals. L’eau est également indispensable au bon fonctionnement de la digestion.
La consommation journalière d’eau varie de 15 à 60 litres en moyenne pour un cheval de 500 kg. Elle est fonction de la teneur en eau des aliments, du stade physiologique de l’animal ou de l’activité exercée, et des conditions météorologiques. D’où l’importance de l’abreuvoir dans la vie noiséenne.
A quoi ressemble un abreuvoir à chevaux au 19ème siècle ?
Rappelons que le mot abreuvoir recouvre à la fois le lieu où l’on mène les animaux pour les faire boire mais aussi le contenant. Il s’agit en général d’une auge avec une petite mare au pied. Ainsi l’animal peut à la fois se désaltérer et se tremper pour se rafraichir.
Nous avons trouvé trace de deux abreuvoirs municipaux.
L’Abreuvoir de la rue du Goulet :
En 1849 la création d’un abreuvoir à l’angle de l’ancien chemin du Goulet et de la route départementale qui venait d’être ouverte, fut décidée. Il était alimenté par les eaux de la source du Goulet.
Rappelons que le Goulet est un cours d’eau noiséen. Le terme « goulet » vient du vieux français « goule » qui signifie « ruisseau ». Ce ruisseau a disparu depuis, canalisé en souterrain. Reportez-vous au brillant exposé de Jean Bergé sur la géologie noiséenne.
1er décembre 1849, la ville acquiert les terrains nécessaires à la construction de l’abreuvoir. Il s’agit d’une parcelle appartenant à la Veuve Maheut pour 1 are 97 centiares sise au lieu dit La Noseille ou le Goulet et d’une autre parcelle appartenant à M Blancheteau pour 27 centiares au même endroit.
Les travaux sont exécutés par l’entreprise Cochu Frères entrepreneur à Noisy, sous la direction de M. Lequeux architecte communal (nous devons à M. Lequeux la toute première version de l’hôtel de ville).
En date du 17 août 1850, le Préfet du Département de la Seine, autorise la ville de Noisy-le-Sec à « poser sous le trottoir de gauche de la route départementale 23, au lieudit la côte du Goulet, une conduite destinée à écouler le trop plein d’une fontaine dans un abreuvoir ».
8 mars 1852, les travaux sont terminés
En 1874, on abandonne cet abreuvoir au profit d’une nouvelle installation rue Damas « Ce point est plus central et mieux à portée des cultivateurs. »
L’abreuvoir de la rue Damas :
27 mai 1874, délibération du Conseil Municipal. C’est Abel Bonnevalle qui est alors maire.
« M le Maire expose qu’il existe dans la commune un abreuvoir de presque nulle utilité à cause de son éloignement des principaux groupes d’habitations. Si depuis longtemps déjà il n’est pas remplacé c’est que l’administration n’en avait pas les moyens financiers. Aujourd’hui l’indemnité de guerre accordée à la ville de Noisy-le-Sec dans la dernière répartition pourrait permettre le déplacement de cet abreuvoir et sa reconstruction dans un point beaucoup plus central et mieux à portée des cultivateurs qui ne comptent pas moins de 400 chevaux. »
Rue Damas se trouve un terrain de 240m2 propice à cet établissement. Les époux Durin propriétaires consentent à le céder pour 1 200 francs.
2 décembre 1874, adjudication des travaux : la construction est confiée à l’entreprise Délepine, entrepreneur de maçonnerie à Noisy-le-Sec, sous la direction de l’architecte communal qui est à cette date Monsieur David. Notons que 4 entreprises ont soumissionné pour la réalisation de ces travaux. Ceux-ci sont achevés le 7 juin 1876.
Mais, une fois l’abreuvoir réalisé, des dissonances se font entendre.
Lettre non datée de l’Inspecteur de l’enseignement primaire au Maire de Noisy-le-Sec :
« Des instructions me sont données de me transporter à Noisy-le-Sec. Je me propose de m’y trouver demain dimanche vers deux heures. Une réunion officieuse du Conseil Municipal me paraitrait nécessaire. Cette question de l’abreuvoir me paraît prendre des proportions qui m’inquiètent ».
3 août 1875, réponse du Maire de Noisy-le-Sec à l’Inspecteur.
« C’est en 1874 et par application de la Loi du 24 juillet 1867 que la municipalité de Noisy a voté l’acquisition d’un terrain pour servir à l’emplacement d’un abreuvoir. L’enquête prescrite dans l’espèce a eu lieu après affiches et publications préalables sans qu’il se soit élevé de protestations aucune sur le projet.
Ce terrain est à 50 mètres des écoles rue Damas et du côté opposé au logement de l’instituteur qui de sa porte et de ses fenêtres à vue sur l’abreuvoir. /…/ Les travaux sont presque entièrement terminés. La réclamation dont vous me parlez est si tardive que je serai tenté de la prendre comme une simple taquinerie de la part de celui qui la faite.
Au reste cet abreuvoir n’a pas l’importance que l’on veut lui donner. A Noisy, chaque cultivateur n’a qu’un cheval qui sera toujours tenu et conduit par le propriétaire lorsqu’il le mène à l’eau, ce qui en général n’aura lieu que le soir après le départ des enfants et en été seulement.
J’affirme que chaque jour il y aura à peine 20 chevaux conduits à l’abreuvoir. »
Le Maire ajoute un poscriptum « quant à la présence de l’eau pour les enfants le conseil après avoir murement réfléchi a préféré cet emplacement à un autre plus isolé ou les enfants pourraient se rendre sans être aperçu ».
6 août 1885 modification de l’abreuvoir
1D8 n°38, délibération du Conseil Municipal :
« Plusieurs membres ont exposé dans une précédente séance que l’abreuvoir communal rue Damas établi sans écoulement devenait une cause d’insalubrité pendant les chaleurs et pouvait présenter des dangers dans ce quartier où plusieurs constructions nouvelles sont habitées depuis peu.
Pour faire disparaître ce danger ou au moins en diminuer beaucoup l’importance il a été convenu de relever le plan d’eau à une profondeur de 0,90m afin de pouvoir établir en fond une conduite de décharge avec clapet Ces modifications constitueront une dépense d’environ 1100 frs.
Mais comme ce travail porte essentiellement sur le pavage à remanier, M le Maire propose de le faire exécuter à bref délai sur le crédit de l’entretien du pavé des rues et chemins ruraux. »
13 juin 1892 suppression abreuvoir
1D10 n°11, délibération du Conseil Municipal :
Suppression de l’abreuvoir :
– qui fait obstacle au débouché de la nouvelle voie (rue du marché). Il se trouve à l’emplacement de la rue à ouvrir. La rue du Marché est une nouvelle voie débouchant sur les rues de la forge et Damas.
– proximité de l’école, 50m, danger permanent pour les enfants plusieurs déjà ont failli se noyer suppression réclamée par un grand nombre de famille
– insalubrité car le quartier est à présent couvert d’habitations
– abreuvoir peu fréquenté
4 mai 1893 démolition et vente des matériaux.