Christiane Espaullard venait de fêter ses 20 ans… le 2 mai 1944, son amie lui écrit :

Extrait d’une lettre du 2 mai 1944 entre deux amies de 20 ans

Ma très chère C.,

Aujourd’hui mardi, voilà ce soir quinze jours ….En fin j’ai eu des nouvelles plus complètes de toi, car bien que rassurée par ton coup de téléphone chez ma tante, j’espérais des détails et surtout ta « résidence » actuelle.
Mon Dieu ! Qui aurait dit dimanche 16, jour où nous nous sommes tant amusés et dont nous n’avons même pas eu l’occasion de parler toutes deux, que deux soirs plus tard ce serait ce terrible bombardement.
Veux-tu qu’à mon tour je te fasse un petit compte rendu ?
Voilà, comme tu le savais, mardi nous avions été au concert, très réussi d’ailleurs, à la sortie … alerte, nous avons alors un peu activé le pas, nous sommes rentrés et étions près de nous coucher quand Papa, qui guette toujours le ciel pendant les alertes, rentre en trombe, nous fait descendre en toute hâte à la cave, juste le temps de mettre un manteau sur le pyjama et de prendre le petit sac préparé.
Nous n’étions pas en bas de l’escalier de la cave que nous tremblions déjà des souffles des bombes. Dans notre petite cave, serrés les uns contre les autres dans un coin, nous étions chaque seconde soulevés de terre et projetés l’un contre l’autre.
Je ne sais pas si tu vas me croire, mais est-ce inconscience, est-ce autre chose : pas une minute je n’ai eu peur. Je sentais que nous en échapperions. Je te jure, ma chère C., j’ai pensé à toi et j’étais sûre qu’à ce moment, tout comme moi, tu priais pour qu’Il nous sauve.Vois-tu c’est un grand bonheur parmi les cadavres et les ruines d’être sortis indemnes, cette affreuse tourmente n’a pas soufflé pour nous.
Quand nous sommes remontés vers minuit et demi, nous sommes allés voir autour, la première maison rencontrée fut celle du marchand de vin avenue de la République presqu’à la Place. Complètement écroulé, cet immeuble de 4 étages avait, sous un tas de gravats haut de 3 mètres occupant jusque le milieu de la rue, emmuré vivants tous les gens qui y étaient à l’abri (on sait maintenant une trentaine, 3 en sont réchappés vivants !).
C’est terrible, Papa est resté toute la nuit et le lendemain jusqu’à midi à déblayer, sans prendre une seconde de repos, car chez nous les renforts ont été longs à venir, vers 6h du matin, j’étais là, c’est lui qui le premier a sorti la première victime, une jeune fille que nous voyions le matin au train de 8h31 !Il est des scènes qui ne doivent jamais s’oublier ! et dont l’horreur reste toujours aussi vive dans la mémoire.
Pendant le déjeuner, ou plutôt à l’heure du déjeuner, car l’appétit n’était plus à notre connaissance, des artificiers vinrent nous apprendre que dans le jardin touchant à la maison derrière, il n’y avait que … 3 bombes non éclatées. Enfin vers 5h de l’après midi nous partions prendre l’autobus à la mairie, en passant au marché je voulus approcher du 9 de ta rue, hélas impossible ! Bombe au milieu de la rue, aux renseignements demandés, je sus qu’il ne restait plus personne dans les maisons de la rue D. mais sans plus de détails.
A la chapelle ardente installée au gymnase, je me suis arrêtée aussi et j’ai demandé. J’ignorais où tu étais, mais quelque chose me soutenait et me faisait attendre ou ta voix ou ton écriture. Enfin nous sommes arrivés dans la soirée Place des Vosges. Papa est revenu à Noisy les autres jours et vendredi définitivement, nous deux avec maman samedi matin.
Quel soulagement d’être chez soi ! Mais quelle tristesse d’apprendre tous les noms qui manqueront à l’appel et Dieu sait s’il y en a !
Enfin depuis ce samedi nous sommes là, le commerce remarche et jusque hier nous n’étions pas sûrs de rester, car on parlait d’évacuation obligatoire ! Heureusement il n’en est rien. Et même rue de Merlan nous sommes en zone blanche.
Noisy est un véritable couvent où l’on vit séparé du monde sans savoir ce qui se passe à 10 minutes de là.
Depuis quelques jours nous avons eau, électricité et T.S.F., nous tiendrons bien jusqu’au bout.
Notre cave est complètement inondée car les égouts de Merlan sont bouchés. Quant au courrier, ici la poste n’est toujours pas rétablie et l’on doit aller chercher son courrier à Paris, rue Sorbier. En comptant trois bonnes heures pour rejoindre la capitale (je n’exagère pas, c’est la pure vérité), personne n’est pressé de se déranger pour aller chercher ses lettres.
La vie est tellement bouleversée, remarque, que chacun semble prendre son temps et comprendre enfin que les petits détails sont tellement insignifiants dans la vie qu’il ne faut pas s’inquiéter pour des babioles. Cet événement a rendu la plupart des gens philosophes, d’une philosophie sereine et ma foi, de bonne augure si elle devait durer après.
Hélas, la vie reprendra et avec elle ses mesquineries, c’est si naturel !

J’attends de tes nouvelles dès que possible.

Ton amie J.

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« Je vais essayer de me souvenir de ce qui s’est passé, après l’alerte dans la nuit, comme on n’entendait rien d’anormal en l’air, on ne s’est pas levé. Au bout d’un bon moment des bruits d’avions éveillèrent l’attention de mon père, il se leva et alla regarder par la fenêtre de l’escalier qui donnait sur la gare et vit que des fusées éclairantes parachutées étaient lancées et éclairaient le dépôt et les rotondes.

En descendant à la cave les premières bombes tombaient chacune par un sifflement bruyant et progressif jusqu’à l’explosion, ce qui faisait trembler la terre un court moment, avec l’écroulement des bâtiments à la suite.

Le bombardement avait duré disait-on 40 minutes et de temps en temps une explosion provenait de la gare. »

Jean Boyer, rue de Brément.

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Voici la relation de quelques souvenirs du bombardement de Noisy. Bien qu’enfant, j’avais 9 ans 1/2, ils sont restés vivaces sans doute en raison de la frayeur.

Alerte dans la nuit du 18 avril 44. Mon père voit les fusées éclairantes stabilisées au-dessus des voies ferrées et donc de notre maison 103 avenue de Rosny ; il nous presse de nous habiller pour prendre la fuite. J’avais l’habitude des alertes. Avant de dormir chacun de nous installait sous les couvertures du lit, et donc dans l’ordre d’enfilage, les vêtements pour nous habiller prestement.

Nous sommes partis pour atteindre notre jardin se trouvant au-delà de la rue Brément. Les habitations en étaient éloignées. Les bombes tombèrent alors que nous n’étions qu’au niveau de l’avenue Victor Hugo ; nous avons pénétré dans le premier jardin venu et nous sommes couchés sur le sol ; ma mère était allongée sur moi pour me protéger. Des bombes ont endommagé le petit immeuble près de nous ; mes mains enfoncées dans le sol ont suivi le déplacement des terres ; mon père dit tout haut : « elles sont tombées tout près et n’éclatent pas ! Si elles sont enrayées c’est notre chance. » A la première accalmie nous sommes repartis vers notre jardin. Chemin faisant je voyais se balancer dans le ciel de petits parachutes blancs, ceux des pilotes qui n’avaient plus d’avion.

Nous avons appris plus tard qu’il s’était agi de bombes à retardement. Nous leur avons dû la vie ; par contre, d’autres rentrés chez eux dans un habitat endommagé y ont péri. Les éclatements de bombes ont duré plusieurs jours puis nous avons considéré qu’ils étaient terminés.

Après cette nuit mémorable, j’ai compris ce qu’était l’expression « avoir les sangs tournés ». pendant deux ans environ mon père avait des anthrax à répétition et moi, des furoncles. je faisais des cauchemars et mes cris parait-il réveillaient ms parents ; quant à ma mère, elle est restée très nerveuse.

Après la guerre, nous les enfants , jouions dans les décombres des maisons emplis de végétation ; des coins rêvés pour jouer à cache-cache ! Quelle ne fut pas notre horreur lorsqu’une équipe arriva pour neutraliser une bombe rouillée sur laquelle nous étions souvent à califourchon…

Marie- Madeleine Bimboës, avenue de Rosny




Les rotondes bombardées vues du carrefour de l'avenue de Rosny et du pont de Bondy




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« Lorsque nous avons vu les fusées éclairantes, nous avons regardé mais nous ne pensions pas que ce serait pour Noisy. Et les premières bombes ne sont pas tombées directement dans notre quartier (rue de Brément), elles sont tombées sur la gare. Ensuite la défense passive est entrée en action et les avions, au lieu de bombarder parallèlement à la gare ont bombardé perpendiculairement, si bien qu’ils sont allés depuis Aulnay jusqu’au Lilas.

La défense passive et l’Etat avaient organisé des abris, mais seule une partie des Noiséns a eu le temps, après la première vague de bombardement, de descendre dans leur cave, mais de toute façon, c’étaient des abris tout à fait illusoires. A part les carrières, où certains allaient se réfugier à chaque alerte, toutes les caves et autres abris n’étaient pas du tout assez solides pour faire face à un bombardement d’une telle intensité. C’était vraiment épouvantable. Cela faisait une impression de bruit, de poussière. Et puis des bruits insolites par exemple, une bombe est tombée devant chez nous juste sur la canalisation d’eau. Alors, ça a été vraiment un déluge et nous pensions même être ensevelies par l’eau dans notre cave. moi, je ne suis trouvée le visage entièrement coupé par des éclats de verre. Alors que dans la cave où j’étais il n’y avait pas de verre. Mais comme tous les carreaux des maisons étaient tombés, il y avait des éclats partout, même très loin. La première vague d’avions avait bien atteint son objectif mais sur le fort, il y avait des batteries  allemandes et à partir du moment où cette DCA est entrée en action, les avions canadiens ont lâché leurs bombes un peu n’importe où. » témoignage de Marcelle Diouf, Extrait de Mémoires noiséennes témoignages sur la 2ème guerre mondiale (1939-1945), Club d’Histoire du Collège Jacques Prévert, année 1985.