Support de diffusion populaire par excellence, les cartes postales servirent pendant la Grande Guerre de vecteur de propagande. La diffusion de la carte postale illustrée atteint son apogée avant la guerre : il en est diffusé 300 millions rien qu’en 1907.  La carte postale a un faible coût, elle est un objet populaire et son utilisation est à la portée de tout le monde.

Pendant la guerre 14-18 les soldats partis au front n’avaient que peu de moyens pour correspondre avec leur famille. Le téléphone était réservé aux états-majors, ils ne leur restaient que le courrier postal, c’est à dire envoyer une lettre ou envoyer une carte postale. L’utilisation de ce dernier support est d’ailleurs encouragé ne serait-ce que parce qu’elle facilite le travail des censeurs qui n’ont pas à ouvrir le courrier. La carte postale fut donc un lien important entre les poilus et leur famille.

Afin de soutenir les troupes et de ne pas inquiéter les familles, de nombreuses séries de cartes postales furent émises sur le thème de la patrie, de la victoire et de la valeur de l’armée française. Mais aussi, sur la mélancolie des poilus lorsqu’ils pensent à leur famille. La carte postale par les images qu’elle présentait, permettait de rassurer, soutenir, montrer sa solidarité. Elle montrait une situation positive de la guerre et donnait l’espoir à chacun.

Les enfants :

Les nourrissons eux-mêmes sont mis en scène.

Le thème de la famille et du foyer se retrouve de manière récurrente, décliné autour de la femme et de l’enfant. Souvent l’image du soldat au front complète ce triangle familial.


Comme tout le reste de la population, les enfants ont subi la guerre et ont vu leurs conditions de vie bouleversées.Le 2 août 1915, à la place du prix de fin d’année scolaire, les enfants noiséens reçoivent la lettre ci-après :

« La Municipalité et le Conseil Municipal répondant aux voeux de la population ont disposés des sommes ordinairement affectées aux récompenses scolaires pour distribuer d’importants secours. ils ne veulent pas cependant que votre geste passe inaperçu. Ils vous prient de recevoir cette lettre en témoignage de gratitude et de reconnaissance du pays, et vous convient à élever vos coeurs vers la Patrie, vers nos défenseurs qui luttent héroïquement contre la barbarie, la traitrise et la félonie pour le salut de l’humanité. VIVE LA FRANCE, toujours plus grande, plus belle et plus aimée  !!! »

Tout au long de la guerre, la propagande ne cessa d’utiliser l’image de l’enfance combattante. La guerre de 1914 est vécue comme une défense de la civilisation, contre la barbarie et pour préserver l’avenir des enfants placés au coeur du drame. L’enfant est embrigadé à la fois par l’école, les églises, ses lectures et même ses jeux. Les enfants ne doivent pas être exclus du conflit mais au contraire ils doivent y participer puisque c’est pour eux qu’on fait cette guerre, pour que le monde dans lequel ils vont vivre soit à jamais débarrassé du fléau de la guerre.

Du sacrifice de la “der des der” on attend un monde suprême. On ne l’attend pas pour soi, on l’attend pour ses enfants. La guerre est faite aux noms des enfants. D’où le discours d’implication de l’enfance. L’enfant doit donc à son tour servir sa patrie et on attend de lui un comportement exemplaire de ce futur soldat et de cette future infirmière. Ils doivent faire des efforts dans leur vie quotidienne et dans leur travail scolaire, ils forment des communautés de prière, ils doivent participer à l’effort de guerre en offrant leurs économies.

La photographie est clairement mise en scène avec un aspect légèrement irréel.

Regardons quelques cartes :

Une série met en scène  quatre jeunes enfants, tous portent l’uniforme et sont armés. Le groupe d’enfants est dominé par la figure tutélaire d’une Marianne qui semble les protéger,  arborant  les symboles de la République : bonnet phrygien, écharpe tricolore et drapeau. Nous avons là toute la mythologie républicaine.

La mise en scène est théâtrale : les enfants agenouillés prient ; l’enfant mort au combat est enroulé dans le drapeau et les honneurs lui sont rendus. La mise en scène accentue la dramatisation des gestes et des postures. Les légendes reprennent les couplets de l’hymne national.

A l’absent : mise en scène d’une fillette dans une attitude de prière, les yeux levés vers le ciel. Elle est endimanchée et agenouillée dans un fauteuil richement décoré et en bois sculpté. Le décor symbolise le confort douillet du foyer. La scène de combat est ici montrée comme une pensée, un rêve puisqu’elle apparait au niveau de la tête de la fillette. C’est une représentation du soldat tel que l’imagine l’arrière, fidèle au poste, doté de courage et farouche.

La légende est : “Pour penser à toi plus encore, j’ai fait un drapeau tricolore”. Le langage est volontairement enfantin. Cette carte donne une image dans laquelle il est facile à l’enfant de se reconnaitre. Le message est d’encourager le soldat au front, de le soutenir moralement.

Le thème est parfois décliné. J’ai trouvé la même illustration avec une légende différente “Comme moi, ma belle poupée t’envoie une aimable pensée”. Dans ce cas, une poupée a été ajoutée dans les bras de la fillette. La poupée est empruntée au monde de l’enfance et du jouet.

Je suis fière de mon petit père que Dieu protége : sur cette carte patriotique, une fillette vêtue d’une robe de dentelle blanche, est en position de prière, les mains jointes. Le blanc est ici le symbole de la pureté de l’enfance. Elle porte bracelet et bague démontrant une certaine aisance sociale. Dans un nuage, au-dessus, de la tête de l’enfant, le père, objet de la prière, apparait.

La religion : Les églises voient dans la guerre un moyen de fortifier la foi juvénile par une éducation morale reposant sur l’idée de sacrifice expiatoire et le développement des pratiques religieuses à travers des mouvements de prière comme “la croisade des enfants” en France sous le signe du Sacré-Cœur du Christ et le patronage de Jeanne d’Arc .Autre exemple de l’enfant en prière : Exaucez mes voeux pour que ma Patrie soit victorieuse et de tous chérie. Ici, nous n’avons plus seulement chez l’enfant la position de la prière (les yeux levés au ciel, les mains jointes, l’air grave et recueilli) mais le texte même de la prière. Dans le nuage du rêve cette fois-ci les anges qui habitent le ciel et sont l’intermédiaire entre les hommes et Dieu ont choisi leur camp puisqu’ils arborent le drapeau tricolore.

Le discours religieux est parfois pacifiste “Cher petit Jésus vas dire à ton Père Que j’attends le mien… assez de la Guerre !”

Le message peut être aussi un vrai appel au meurtre comme dans cette légende “Oui ! ma chérie, envoie lui ta prière et le vrai Dieu la rendra meurtrière.” La légende distingue le “vrai Dieu “ ce qui sous-entend que celui de l’ennemi est faux. Là encore Dieu  a choisi son camp. La prière de l’enfant devient une arme qui tue l’ennemi. L’enfant peut agir et influer sur le sort du conflit.

C’est la première fois que les enfants ont été autant impliqués dans un conflit d’adultes. A l’issue de la guerre, la France compte 1 100 000 orphelins. Le statut de pupille de la Nation créé dès 1917, permet à l’Etat après un jugement d’adoption de prendre en charge ces orphelins de guerre et les enfants de soldats blessés au combat.

Sources :

Elodie Marqueteau, L’image en temps de guerre, mémoire de fin d’année.

Serge Zeyons, Le roman photo de la Grande Guerre

Claude Morin, La Grande Guerre des images, la propagande par la carte postale 1914-1918

http://centenaire.org/fr/tresors-darchives/fonds-publics/bibliotheques/archives/barbares-ogres-et-assassins-la-propagande