Chère Félicie,

Je répond à ta lettre datée du 20, laquelle m’a fait plaisir de savoir que vous étiez tous en bonne santé pour quant à moi je suis toujours en bonne santé. J’ai bien rigolez quand tu m’as raconter l’histoire qui est arriver chez Pomel et de mon cousin Marcher avec Louisa. Je finis et vous embrasse tous.

Louis Merle

Réponse


De tout temps, le désir de rester en contact avec le pays et les membres de la famille a été un élément majeur dans la psychologie des soldats éloignés de chez eux. Cette correspondance, écrite sur le moment, est souvent éphémère : le temps d’une ou plusieurs lectures et la feuille disparaît. Le poilu écrit à sa famille et ses amis des lettres et des cartes portales. Si le Grognard napoléonien écrit sur du papier chiffon à l’aide d’une plume et d’encre, le poilu utilise des feuilles de papier à base de pâte de bois de petite taille et écrit la plupart du temps au crayon à papier. Toutefois, le support qui est le plus utilisé est la carte postale. En effet, la Grande Guerre se trouve au coeur de l’âge d’or de la carte postale, entre 1902 et 1920.

La Première Guerre mondiale est la première du genre où autant d’hommes sachant écrire sont engagés dans un conflit. Dès lors, avec les moments de calme ou de répit, la lecture et l’écriture constituent une des occupations du soldat et un moyen d’échapper temporairement à l’univers de la tranchée. Toutefois le soldat n’a pas le droit d’indiquer sa position, d’où une importante correspondance sans nom de lieu, auto-censurée. La correspondance des poilus comprend deux catégories : la correspondance à sa famille et à l’arrière, d’une part, et la correspondance à ses frères d’armes, poilus comme lui, beaucoup plus rare, d’autre part. Durant la Grande Guerre les préoccupations des poilus sont, à cent ans près, les mêmes que celles des Grognards de Napoléon, dont les courriers sont, eux, rarissimes : nouvelles de la maison, nouvelles de la santé de la famille et situation personnelle. Si, entre 1804 et 1814, le Grognard parle souvent du manque d’argent qui l’accable, le poilu, qui n’en manque pas, tient un discours plus patriotique et parfois religieux. Par contre, tous donnent l’impression de s’effacer au profit des nouvelles des leurs : le poilu ne s’étend pas sur lui et se renseigne d’abord sur les autres. Les courriers à la famille sont policés et tournés vers le correspondant. Ils abordent rarement la dureté du quotidien et la violence mais parlent plus volontiers des bons moments et de la nourriture. Parfois, certains, surtout les jeunes et les anciens lèvent le voile de la pudeur sur la guerre, alors que d’autres parlent d’amour avec leurs femmes ou compagnes. C’est dans les courriers à leurs amis et leurs frères d’arme que les poilus se livrent et parlent sans ambages ni détours de la réalité quotidienne. Là, hormis la guerre, ce sont les femmes et le manque de femmes, les plaisirs, dont la boisson, qui sont évoqués.

source : Archives départementales de l’Ain, Lettres, cartes postales et carnets de guerre