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Le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme Eugène CLAUDIUS-PETIT inaugure le pont reconstruit de Noisy-le-Sec, dans un quartier où les destructions ont fait place à de nombreux immeubles neufs. Journal télévisé de 20H00. 02/02/1952

Eugène Claudius-Petit est l’auteur du texte fondateur Pour un plan national d’aménagement du territoire, en 1950.



Pour un plan national d’aménagement du territoire * (Extrait)

La renaissance de la France commande d’une part, une politique du logement à laquelle de plus en plus les pouvoirs publics et l’opinion accordent l’attention qu’elle mérite, d’autre part, une politique d’équipement destinée à mettre à la disposition des producteurs les moyens mécaniques et l’énergie indispensables.

Au moment où des mesures législatives et financières et l’appel à la confiance du Pays doivent rendre possible la construction de 240 000 logements par an, on peut se demander si les pouvoirs publics ont en main les moyens de réaliser de la façon la plus rationnelle une telle politique. Les organismes publics ou privés, animés de la meilleure volonté, lancent des programmes de logements sans que des indications sérieuses leur permettent de savoir si ces créations correspondent à la meilleure utilité économique et humaine. Or, si un certain empirisme peut à la rigueur présider à la construction de quelques milliers d’habitations, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’une politique de logement d’une ampleur telle que celle qui est envisagée aujourd’hui.

Il ne suffit pas, en effet, de multiplier le nombre des logements et d’améliorer leur qualité ; il faut encore que ces logements soient édifiés aux emplacements les plus favorables, tant pour le bon rendement des activités productrices que pour le bien-être et l’épanouissement des individus. Ils doivent être disposés en relation avec les lieux de travail et les centres culturels, les espaces libres et les voies de circulation, de telle sorte que les fonctions qui caractérisent tout établissement humain, habitations, travail, échanges, éducation et loisirs, s’exercent en parfaite harmonie.

Quand par ailleurs, le Plan Monnet, analysant certains aspects de la décadence française, a prévu un équipement destiné à développer de nouvelles sources d’énergie, afin d’atténuer dans l’avenir le déficit de la balance commerciale et d’élever le niveau de vie de la Nation, il a souvent négligé de rechercher les conditions d’une bonne localisation des industries et des activités économiques et il risque ainsi d’accroître le mal dont nous souffrons en contribuant à développer à une cadence accélérée l’industrialisation excessive de certaines régions et la désertion de certaines autres.

Pendant la première phase d’exécution du plan de modernisation et d’équipement, une telle lacune était naturelle. Devant l’obligation impérieuse faite au Pays d’augmenter sa production dans les délais les plus rapides pour assurer son indépendance économique avant 1952, il fallait bien améliorer et renforcer les installations existantes là où elles se trouvaient. Mais les premiers objectifs du Plan étant aujourd’hui atteints, il est permis de se demander si la conception et l’application de ce Plan ne doivent pas désormais être menées de pair avec des préoccupations nouvelles. Un niveau de vie élevé ne suffit pas à apporter le vrai bien-être et à satisfaire toutes les aspirations de l’homme. A quoi bon un équipement économique puissant et même un équipement social perfectionné, si la santé physique et morale d’une grande partie des habitants s’étiole dans un cadre de vie médiocre ?

Il faut noter en outre que, si l’on accorde aux créateurs d’installations nouvelles les puissants moyens du Plan de modernisation et d’équipement en leur laissant toute liberté de s’installer où bon leur semble, on encourt le risque d’un désordre encore plus marqué qu’au cours du 19ème siècle, où, dans un régime entièrement libéral, le jeu de la libre concurrence évitait que de grossières erreurs d’implantations ne fussent commises, tout au moins au point de vue économique.

Si même on fait abstraction des raisons impérieuses que pourrait invoquer la Défense Nationale pour s’opposer au développement excessif d’agglomérations urbaines, et en se plaçant au seul point de vue du développement harmonieux d’une économique, le moment est venu où il convient de se demander si la préoccupation de la vie de l’homme et de ses meilleures conditions de bien-être et de confort dans le cadre qui lui est donné ne doit pas passer au premier plan. En effet, la situation actuelle atteint l’homme dans sa santé, ses facultés de loisirs et de travail, bref dans sa dignité, par l’acceptation forcée d’une médiocrité sans contrepartie.

Telles sont les préoccupations auxquelles répond une politique d’aménagement du Territoire. L’Aménagement du Territoire ne doit pas être confondu avec les problèmes auxquels cependant, il n’est pas étranger. Ce n’est pas un plan de production et d’équipement, comme l’est par exemple le Plan Monnet, tendant à prévoir le total des grands produits qui peuvent être fournis par les entreprises nationales. C’est également autre chose et plus que l’Urbanisme au sens déjà traditionnel du mot ; c’est à dire autre chose qu’une collection, qu’une série de plans détaillés d’aménagement et d’extension des agglomérations, avec l’indication des rues, des squares, des espaces libres, des quartiers résidentiels ou industriels, etc.…

L’Aménagement du Territoire se distingue du plan de production et d’équipement par le fait qu’il ne concerne pas tant des problèmes de production que, ainsi qu’on va le voir, des problèmes de répartition et de meilleure utilisation du terrain. Il déborde des plans d’urbanisme parce qu’il pose les problèmes non pas dans le cadre des villes et des agglomérations, mais dans le cadre des régions et du Territoire National tout entier.

En gros, l’Aménagement du Territoire, c’est la recherche dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes, en fonction des ressources naturelles et des activités économiques.

Cette recherche est faite dans la constante préoccupation de donner aux hommes de meilleures conditions d’habitat, de travail, de plus grandes facilités de loisirs et de culture. Cette recherche n’est donc pas faite à des fonds strictement économiques, mais bien davantage pour le bien-être et l’épanouissement de la population.


* Ce texte peut être téléchargé sur le portail de l’aménagement du territoire.