Luttes – Mai 1968

« Quand je suis rentré, il y avait plusieurs syndicats. La CGT peut-être, surement même, ça ne marchait pas autrement. Ça marchait bien, ils étaient très nombreux à la CGT et beaucoup moins dans les autres syndicats. Il n’y avait pas de conflits internes entre eux. »

Les gens étaient beaucoup syndiqués à l’époque. Les syndicats étaient puissants. Ils étaient très vigilants sur les conditions de travail, il n’y avait rien à dire. Il prenait la défense de tout le monde. On a fait beaucoup de grèves aussi. Dans le temps, c’était la lutte chaque fois qu’on voulait quelque chose, ça se faisait assez souvent pour faire évoluer les choses, au niveau de la paye par exemple.
Je me rappelle que bien souvent à l’entrée il y avait des gens qui distribuaient des tracts. Moi, j’ai adhéré à la CGT en 1958, en mai 58 contre le retour de De Gaulle et j’ai tout de suite été militant je n’étais pas le mec qui paye ses timbres et on n’en parle plus.
Quand quelqu’un se faisait virer, on essayait de la faire réembaucher. Une fois, on était arrivé à 40, on a fait signer le tôlier en lui demandant de réembaucher le gars, et ils l’ont réembauché. Chaque fois qu’on réussissait, on l’écrivait : on a fait réintégrer quelqu’un, c’était bien.
En fait, il y avait trois syndicats dans l’entreprise, il y avait la CGT, force ouvrières et la CGC. Alors la CGC elle était « puissante » enfin oui et non, elle représentait le moitié du personnel et de l’encadrement. FO était limitée. La CGT était assez puissante. C’était plus une image de marque nationale qu’une volonté du personnel. Le taux de syndicalisation dans l’entreprise était comme en France, il n’est pas génial, génial, mais aux élections professionnelles la CGT l’emportait largement. Ils distribuaient des tracts toutes les semaines, que ce soit au niveau local ou international, ils occupaient le terrain. Alors que forces ouvrières, ils commençaient à distribuer des tracts quinze jours avant les élections. Mais on n’a pas eu de gros soucis. On n’a jamais eu de grandes grèves qui ont mis en cause la pérennité de l’entreprise.

 

“J’étais connu comme le loup blanc dans Noisy.”

 

Je suis rentré au comptoir avec un certificat qui m’avait été remis par un petit patron. C’était un radical socialiste, membre du conseil municipal à Pantin. (Le Maire à l’époque c’était Jean Lolive qui avait été déporté). Il me dit attend moi je vais t’en faire des certificats, il m’avait donné trois ou quatre feuilles à l’en-tête de sa boîte et il m’avait dit tiens tu marqueras ce que tu veux dessus et il avait signé.
Donc je suis rentré au comptoir avec ce certificat. Quelque temps après je reçois à la maison une enveloppe, c’était le comptoir Lyon-Lallemand qui posait tout un tas de questions au patron de Pantin sur mon compte. Évidemment c’est nous qui avons rempli la fiche et on a sorti un tract pour dénoncer la pratique.

Quand j’ai été viré du Comptoir j’ai eu des problèmes pour retrouver du boulot. Un gars du PSU que je connaissais était devenu directeur d’une petite boîte d’outillage, à la folie où il y a BMW maintenant. Lui il me connaissait il savait qui j’étais et donc je lui téléphone. Il me dit non moi je n’ai pas besoin de fraiseurs, mais si tu veux tu viens samedi je te montrerai ce qu’on fait. Donc je suis allé le samedi il m’a montré les machines, il voulait me mettre sur une machine qui datait de Mathusalem et il savait d’avance que j’allais pas accepter. Il a fait exprès.
C’était tous des « Nénés », c’était tous des outilleurs, c’était tous des grands grands professionnels là-dedans. Un « Néné » c’est un mec haut de gamme dans son travail.
Et il me dit les gars, ils ne sont pas sympas là-dedans parce que quand ils font une connerie dans la semaine ils ne veulent pas venir la rattraper le samedi. J’ai dit tu sais faudra pas tellement compter sur moi non plus.

Les gars il voulait que je rentre dans leur boîte. Et j’ai fait 17 ans dans la boîte. Et après je suis rentré dans une boîte à Vincennes, il y avait deux patrons, un qui avait la bonne cinquantaine et l’autre qui avait 30 – 35 ans à tout casser.

« À l’époque c’était dans les années 86 87, ils avaient investi 800 millions dans des machines ultra modernes, ho la vache, mais il voulait récupérer leur pognon en trois semaines alors dès qu’on allait pisser ils nous demandaient où c’est que vous allez. »

Combien de fois je leur ai dit : mais arrêtez-vous vous n’allez pas vivre vieux et chaque fois ils montaient au plafond.
Là aussi ils m’ont viré, mais de toute façon je ne serai pas resté. Et puis après je suis rentré dans une boîte à Bagnolet. Et j’ai fini ma carrière à Bagnolet. Là-dedans on faisait des machines de thermoformage en plus pour les emballages sous plastique .
Et là je téléphone pour ma retraite et la nana elle me dit si vous acceptez  de doubler votre taux de cotisation tous les points que vous avez acquis seront doublés aussi.
Au lieu de cotiser à 2 % on devait cotiser à quatre et le patron lui au lieu de cotiser à quatre il cotisait à huit évidemment. Ç’a encore été une bagarre ça, mais on a gagné on a gagné. Il y en a qui ont eu du mal à retrouver du boulot.

 

 

 

« Je n’ai pas connu les grandes années 68, je suis arrivé après. Quand je suis arrivé, j’étais très jeune, je sortais de l’armée. Les vieux qui étaient là m’expliquait les choses, me racontait comment c’était avant. »

Une fois, on avait fait grève, je ne sais plus pourquoi ça remonte à loin les mecs au lieu de rester sur place, ils rentraient chez eux. Au lieu de manifester en étant présent. Ça m’avait marqué.
Il y a vraiment eu de l’évolution.

« Les syndicats n’étaient plus vraiment forts à la fin, la preuve que non, sinon ils auraient réussi. »

Mes dernières années je crois que les syndicats perdaient beaucoup de leurs crédits.
En Seine st Denis, dans ce coin, c’est un lieu où il y avait beaucoup d’usines qui longeaient la nationale 3 et le canal de l’Ourcq. C’étaient des endroits industriels avec une classe ouvrière, une classe laborieuse, du prolétariat. Je pense que le prolétariat a existé jusqu’à la mi 90, peut-être 92-95. Mais à Noisy-le-Sec il s’est effondré. Effondré à la fermeture des usines avec la mondialisation. Vallourec a fermé entre 85 et 90. Ces villes communistes qui reposaient sur la classe ouvrière ont périclité en tant que telles, tout l’Est parisien en a souffert. L’industrie qui s’est barrée et qui s’est cassée la gueule, après ça a mis 15-20 ans pour que ce soit restructuré en zone de services

 

De toutes les nombreuses luttes évoquées, mai 68 fait figure d’exception par son ampleur. L’usine du CLAL a été la première occupée et la dernière libérée après 5 semaines d’occupation. Ces 5 semaines ont donné lieu à une organisation interne très cadrée. Le souvenir de ces journées « intenses » résonne encore fortement dans la mémoire de ceux qui les ont vécu et tout particulièrement dans celle des militants à la tête du mouvement.

 

Piquets de grève : entrées et sorties de l’usine

 

“En mai 68, l’usine de Noisy du CLAL a été la première usine occupée et la dernière liberée avec cinq semaines d’occupation.”

 

Dès qu’on a été en grève, vendredi soir, j’ai appelé le cuistot je lui ai dit voilà, vous continuez à nous servir la bouffe le midi. Il avait ses propres ouvriers, son propre cuistot, ses propres nanas (cuisinières).
C’est lui qui nous faisait la bouffe. On faisait ne payer un euro le repas, enfin pas un euro, un franc. Et cet euro, ce franc nous a servi de caisse de secours pour ceux qui étaient plus ou moins dans la merde.
On couchait dans la cantine transformée en dortoir, des hommes, des femmes. On avait une responsable de l’animation pour pas que les gens s’emmerdent de trop. Après, il s’est dit des tas de choses, un certain nombre de naissances neuf mois après l’occupation. Je n’entre pas dans ces considérations. C’est vrai que comme l’usine était occupée nuit et jour…

 Avant que ceux qui avaient décidé de ne pas occuper l’usine soient mis dehors, tout le matériel avait été mis sous clef.
Le gars qui gardait n’avait pas voulu qu’on aille jusqu’aux ateliers pour éviter les accidents.
Et moi j’avais dit aux gars : surtout surtout personne du côté des métaux précieux parce que c’était relié directement au commissariat de police.

Mais après, il a fallu payer, on était largement majoritaire au comité d’établissement. Et puis v’la la facture de montagne qui s’amène !  Il a fallu payer la montagne. À l’époque il y avait une bonne somme 3000 Francs enfin quelque chose comme ça.

 

Fin de l’occupation

« La veille, le jeudi ils nous avaient dit, Monsieur, vous nous donnez les clés. Mais là j’ai dit non, c’est nous qui avons fermé, c’est nous qui rouvrirons. »

Tout l’État-major nous attendait, ils m’ont dit « vous avez l’art du terrain, l’art de la mise en scène », quelque chose comme ça.
Alors on a défilé, un peu après le pont de l’autoroute près du chemin de fer avec des drapeaux en chantant la Marseillaise, et l’Internationale.
Nous on avait un film sur la grève au comptoir qui a été tourné en 8 mm. Au bout d’un moment, les gars ils n’avaient plus de pellicule, on n’en trouvait pas, toutes les boutiques étaient fermées. On a dû arrêter.

Et il y avait une cuve à essence aussi. Évidemment en 68, il n’y avait de l’essence nulle part. Alors j’ai téléphoné au comité de grève de chez Elf. Il nous a livré une citerne et on a payé l’essence de la même manière. C’est vrai qu’on avait des liens de boites à boîtes, on se connaissait tous.

Le jour où les syndicalistes ont dit à la direction « vous sortez », il y avait déjà les camionnettes de la commune qui amenaient les lits de camp, le matériel, la cantine, etc. Tout était déjà prévu et organisé.

Les souvenirs de cette époque-là, j’en ai des bons et des moins bons. Du bon parce que ça a permis de resserrer certains liens. Du moins bon parce qu’il y eut des mots échangés, des intimidations. Par exemple quand certains élus se mettaient au-dessus de la porte d’entrée avec des caisses de boulons et des extincteurs nous qui étions sur le trottoir on appréciait que moyennement. Aujourd’hui c’est bon enfant, à l’époque on le vivait beaucoup plus mal.

 

 Autogestion des outils, protection des matières, entretien des outils et des machines

« On a eu des élus très corrects. Je pense à celui qui gérait toute la crise qui était un homme tout à fait exceptionnel. Il a fait vraiment ce qu’il fallait, s’assurant que tout le matériel était entretenu, qu’il n’y avait pas de vol de métaux, que tout était en sécurité. »

Avant que ceux qui avaient décidé de ne pas occuper l’usine soient mis dehors, tout le matériel avait été mis sous clef. Il avait pris soin de tout vérifier et de mettre des gardiens ce qui fait que quand l’usine a ré-ouvert cinq semaines après il ne manquait pas un gramme de métal. Les seules choses qui manquaient c’était la vaisselle de la cantine qui avait été cassée et la cuve à essence qui avait été vidée. Toute les machines étaient nettoyées, propres, graissées. Il y avait une équipe de gens sérieux.

 

“Pendant cinq semaines, il n’y a eu aucune bavure rien rien rien…”